Découvrir enfin Le Philtre, (du livret duquel Romani tira sans vergogne – « c’est un jeu » disait-il – celui de L’elisir d’amore ) dans son orchestration d’origine à partir d’une révision de la partition éditée par Troupenas, précisément pour les 150 ans de l’œuvre, faisait partie des plaisirs attendus de ce festival Rossini 2021 à Bad Wildbad. A l’issue de cette première soirée – l’œuvre sera redonnée le 24 – nous ne pouvons taire notre déception, et elle ne tient pas à la perturbation du concert par le bruit de la pluie en trombe qui a amené la direction à prendre la décision de l’interrompre avant la fin du premier acte, pour reprendre et enchaîner quand l’orage s’est enfin éloigné.
Alors que la veille la prestation de l’Orchestre Philharmonique de Cracovie nous avait semblé des plus satisfaisantes, il sonne ce soir bruyant et tapageur avec des dissonances suspectes. Que s’est-il passé, alors que le lieu est le même ? Grande est la frustration de n’avoir pas entendu toute cette musique avec les nuances qu’on lui suppose, y compris dans le registre (faussement) guerrier.
Dans le programme de salle figure un texte comme toujours éclairant de Paolo Fabbri, le spécialiste bien connu de Donizetti. Il file la métaphore sportive pour décrire le parcours d’Auber et de Rossini à la fin des années 1820. Avant même de résider à Paris, ce dernier y exerce déjà une influence à laquelle Auber ne cherche pas à échapper, en musicien curieux des recettes du succès, tout comme sa Muette de Portici inspirera peut-être Guillaume Tell. Paolo Fabbri relève dans la partition d’Auber ce qui provient de l’Italie – dans les formes, et directement de Rossini, en particulier du Comte Ory, dont Scribe, aussi librettiste du Philtre, reprend fugacement le texte, comme un clin d’œil en hommage complice – et ce qui est spécifiquement français. A l’audition de cette version à nos oreilles meurtries par le tintamarre initial, cette analyse prend le caractère d’une prescription à observer d’urgence ! S’il fallait grossir le trait pour peindre cette communauté paysanne plutôt inculte et ce militaire imbu de lui-même, dans cette contrée aux marges d’un royaume où « l’argent fait tout» pourquoi le compositeur l’aurait-il fait sans finesse ?
Autre point douloureux, et non des moindres, la prononciation du français. Hormis celle de Patrick Kabongo, d’une clarté et d’une précision exemplaires, toutes les autres sont fautives, qu’il s’agisse des innombrables erreurs sur les voyelles, des liaisons ignorées ou des approximations tueuses de sens.
Dans ces conditions, il est bien difficile de porter une appréciation positive sur ce concert, auquel il a manqué la clarté du verbe et la nuance des sons. Est-ce le lieu qui pénalise les chœurs ? Leur netteté n’est pas constante et souvent on ne comprendrait pas, sans l’aide des sous-titres conçus par Reto Müller. La Jeannette d’ Adina Vilichi, élève de l’Académie, finit par contrôler un vibrato trémulant et s’applique à prononcer une langue qui lui semble peu famil!ère. La voix de Luiza Fatyol ne manque ni d’extension ni de souplesse, et elle se complaît à orner les reprises jusqu’à imposer au chef de la laisser redoubler de fioritures ; le gag fonctionne, car il correspond au personnage, une égoïste que Paolo Fabbri dépeint « calculatrice, coquette et frigide ». Il n’est jusqu’à une certaine acidité du timbre qui ne soit ici parfaitement en situation. Eugenio Di Lieto a certainement la voix de basse pour chanter le rôle de Fontanarosa, le charlatan hâbleur, et le chef lui permet même, en faisant taire l’orchestre, de montrer jusqu’à quels graves il descend. Emmanuel Franco incarne un sergent Joli-cœur pétulant à souhait, même si l’interprétation semble parfois un rien crispée, peut-être par souci de sécurité. Le français n’est pas irréprochable mais la projection est vigoureuse. Au-dessus du lot, parce que sa diction très claire n’entrave pas les intentions expressives, le Guillaume de Patrick Kabongo, seul francophone de la distribution, grâce à qui on peut avoir une idée précise du personnage, sorte de Pierrot ingénu dont la voix lumineuse reflète la candeur. Le chanteur sait résister à la tentation de grossir même quand l’orchestre enfle et le couvre, et son chant est un modèle de probité stylistique qui réconforte.
Luciano Acocella a-t-il été victime des circonstances, dans le cas où le calendrier des répétitions aurait été trop court, avec un orchestre sans grande expérience du jeu à l’opéra ? Sa maîtrise dans d’autres circonstances et d’autres ouvrages n’est pas à prouver. Il y a tant de choses intéressantes, dans l’oeuvre, au point de vue sonore, ces rythmes divers selon que Fontanarosa s’adresse aux matrones ou aux jeunes filles, ces danses à l’atmosphère plus aragonaise que vénitienne, qu’à les découvrir on regrette encore plus ce que les fracas ont englouti. La deuxième représentation permettra-t-elle de corriger le tir et d’ offrir une image sonore du Philtre qui échappe au chromo criard ? C’est tout le mal qu’on souhaite au chef et à l’orchestre.
Article mis à jour le 18 juillet à 18h00