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Sandrine Sarroche : « Offenbach est le Mozart du rire »

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Interview
18 septembre 2024
L’humoriste créé la surprise en interprétant Antonio, le caissier véreux des Brigands d’Offenbach à l’Opéra de Paris à partir du 21 septembre.

Infos sur l’œuvre

Détails

On n’arrête pas le talent. Juriste de formation, « performeuse » de one-woman-shows, chansonnière, trublion du PAF, Sandrine Sarroche est devenue en quelques années incontournable sur la scène française du rire. De là à dilater la rate du Palais Garnier, il y a un Rubicon que la chroniqueuse franchit, intimidée et émerveillée par un monde qui est plus son genre que son parcours le laisse à le penser.

Par quel concours de circonstances avez-vous été engagée pour chanter Antonio dans la nouvelle production des Brigands à l’Opéra national de Paris ?
L’histoire est assez amusante. J’ai été contactée via LinkedIn par la responsable des recrutements des danseurs de l’Opéra Garnier qui me connaissait grâce à mes chroniques sur Paris Première (ndlr : dans l’émission Zemmour et Naulleau de 2017 à 2021). Barrie Kosky, renouant avec la tradition, souhaitait avoir un ou une humoriste pour le rôle d’Antonio. Au temps d’Offenbach, on engageait des chansonniers pour placer au milieu de la pièce un couplet sur l’actualité. Barrie Kosky, ne parlant pas français et peu au fait de la scène comique française, lui a demandé son avis. Elle lui a communiqué mon nom. Nous avons dialogué par téléphone, en allemand – je fais partie de cette génération qui a choisi allemand pour première langue à l’école et ne parle donc correctement ni l’allemand, ni l’anglais – puis il lui a dit « she’s the right person! ».

Malgré la barrière de la langue ?
Je parle mal l’allemand mais je le comprends. Heureusement ! Il y a beaucoup d’Allemands et d’Autrichiens sur le plateau. La distribution est principalement francophone mais Falsacappa, le chef des Brigands, est joué par Marcel Beekman qui est néerlandais.

Vous-même jouez Antonio, un rôle d’homme…
Oui, on m’avait prévu un costume de mafieux – enfin de banquier italien. Finalement, comme Fragoletto, l’amant de Fiorilla, est aussi confié à une femme, cela commençait à faire beaucoup de transgenre, d’autant que la mise en scène est déjà très « queer ». Le caissier a donc été transformé en ministre – au féminin – du Budget.

Vous conservez cependant vos fameux couplets ?
La chanson reste évidemment. Mais j’ai écrit le monologue parlé avant les couplets, en rapport avec l’actualité.

Dans quel état d’esprit abordez-vous cette première dans une production lyrique ?
C’est un univers très intimidant, même si j’ai suivi des cours de piano, de chant et de théâtre au Conservatoire de Toulon, même si je suis allée souvent à l’opéra et même si mon premier contact avec l’opéra a été une opérette d’Offenbach, La Fille du Tambour-major. Encore une histoire amusante. Ma mère était coiffeuse. Une de ses clientes, fan d’art lyrique, avait ses entrées à l’Opéra de Toulon. Comme elle savait que j’aimais le théâtre, elle a proposé que ma sœur et moi fassions de la figuration dans La Fille du Tambour-major. J’étais très jeune mais je me souviens : il devait y avoir un défilé d’enfants ; nous avions des cocardes… Bref, j’espère que ce ne sera pas une erreur de casting, parce que oui, franchement, c’est intimidant.

Comment surmontez-vous le trac ?
Ma première crainte, c’est la peur de ne pas savoir mon texte. La chanson, je la connais. Barrie Kosky ne veut absolument pas que je la chante façon opéra. Il fait référence à Hortense Schneider, la chanteuse fétiche d’Offenbach, qui d’après lui n’avait pas de formation classique et dont la tessiture se limitait neuf ou dix notes*.

Vous serez sonorisée ?
Oui, je suis la seule à l’être.

Le rôle du caissier a été écrit pour un ténor, Léonce, qui aimait jouer avec les registres. L’effet comique des couplets repose sur le passage en voix de tête.
Oui, pour une femme, c’est moins évident. Barry Kosky veut que je le chante comme Tina Turner, avec une voix grave.

Sandrine Sarroche © Marcel Hartmann

Quelle(s) différence(s) existe-t-il entre l’univers de l’opéra que vous découvrez et le monde de la télé et du spectacle vivant dont vous êtes familière ?
L’un est subventionné, l’autre non. Les lieux aussi. Nous avons répété à Bastille, depuis deux jours, nous sommes à Garnier. Pas mal, non ? Par une heureuse coïncidence, il se trouve que j’avais déjà rencontré Alexander Neef, le directeur de l’Opéra de Paris, peu de temps après sa nomination. Il s’en est souvenu et m’a dit être vraiment ravi de m’accueillir. Il connaît Barrie Kosky depuis longtemps. Pour l’anecdote, il l’avait d’abord sollicité pour monter La Vie parisienne. Mais Barry trouvait l’œuvre malvenue après les Jeux Olympiques, et a proposé à la place Les Brigands.

Avez-vous déjà vu la production précédente de Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff ?
Seulement des extraits. J’ai vu aussi des extraits d’autres productions, notamment lyonnaise. A chaque fois, c’est tellement différent.

Et connaissiez-vous l’ouvrage ?
Non, pas du tout. Je ne l’avais jamais vu, pas même écouté. Je le découvre en même temps que l’étendue de l’œuvre d’Offenbach et de son génie. Pour moi, Offenbach est le Mozart du rire. Sa musique est tellement belle. C’est incroyable. Elle rend joyeux. Puis la mise en scène de cette nouvelle production, les danseurs, les costumes, les trouvailles…

Le spectacle promet d’être transgressif, de « sentir l’ail et la sueur », selon Barrie Kosky…
Oui, c’est ce qu’il recherche. Déjà en termes de costumes… La tenue de Falsacappa… Ceux qui ont été choqués par la cérémonie d’ouverture des JO ne vont pas être déçus. Cela va être énorme ! En même temps, il y a des tableaux incroyables :  l’arrivée des Espagnols par exemple.

Ne vous sentez pas l’intruse au sein d’une troupe d’artistes lyriques ?
J’aime justement dire que je ne suis pas le vilain petit canard. Enfant, à l’âge de six ans, mes parents m’ont inscrite dans un cours de danse comme toutes les petites filles. Je n’étais pas très douée ; je n’y suis restée qu’un an. Il m’a cependant bien fallu participer au spectacle de fin d’année à l’Opéra de Toulon. Les filles faisaient soit un chat, soit une souris, et moi, j’étais si peu douée qu’ils m’ont fait faire le petit oiseau. Ni sauts, ni entrechats, j’’avais juste à battre des ailes. Vêtue d’un costume en plumes, tel Papageno, j’étais la mascotte du spectacle. C’était ma première scène et depuis, j’ai toujours gardé ce côté décalé. Pour Les Brigands, j’ai été très bien intégrée dans l’équipe, par les danseurs, les comédiens, les chanteurs. J’avais une légère appréhension car au conservatoire, ma professeure de chant était assez hautaine, pleine de morgue. Eux, je trouve « qu’ils ne se la pètent pas » étant donné leur talent et leur notoriété.

Avoir étudié le chant au conservatoire vous est-il utile ?
Au départ, j’ai fait du piano et du solfège, évidemment. Et puis lorsque j’avais 17 ans, la professeure de chant m’a proposé de rejoindre sa classe. J’ai fait deux ans d’art lyrique La première année, j’ai même reçu les félicitations du jury. J’ai chanté La truite de Schubert que je reprends régulièrement dans mes spectacles. J’étais plutôt soprano léger. J’avais une voix très aiguë qui, en vieillissant, est devenue beaucoup plus grave. La question revient souvent : si vous chantez bien, est-ce parce que vous avez pris des cours de chant ? Il me semble que c’est plutôt l’inverse. J’ai pris des cours de chant parce que je chantais bien.

Vous avez une musicalité naturelle…
Oui, voilà. Je me souviens lorsque je chantais dans la maîtrise du conservatoire, le chef de chœur – il s’appelait Jean-François Pacaud – me disait toujours : « Sandrine, vous avez une musicalité incroyable ! »

Vous devez alors bien vous entendre avec Stefano Montanari, le chef d’orchestre des Brigands.
Ah, je l’adore ! Je découvre cet univers. Ces gens sont tellement doués. Je réalise le travail que cela représente. Lorsque je suis revenu à Paris le 16 août, pour la première répétition, tout était déjà fluide, en place musicalement. C’était impressionnant. Magnifique. Je pense que ces Brigands sont un des événements de la rentrée.

Nous les avons sélectionnés comme l’un des dix spectacles à ne pas manquer cette saison.
A raison ! Toutes les représentations sont sold out !.

Ce succès m’interroge. L’humour n’est-il pas sujet aux modes ? On ne rit pas de la même chose aujourd’hui qu’il y a dix ans.
Et même six mois !

Alors, comment expliquez-vous que l’œuvre d’Offenbach reste intemporelle ?
Le génie tout simplement. Sa musique rend tellement joyeux et on a tellement besoin de cela en ce moment Tous les textes parlés en revanche ont été réécrits pour s’adapter à l’actualité. Ce n’est pas un hasard si je ne suis plus caissier, mais ministre du budget dans l’opéra Barnier (clin d’œil) !

Sandrine Sarroche © Marcel Hartmann

Vous préparez un nouveau spectacle en début d’année prochaine.
Effectivement, à Paris, aux Mathurins. Je suis censée partir en tournée de rodage au mois d’octobre. Les Brigands, me prennent tout mon temps. Je suis ravie, mais mon emploi du temps est très compliqué à gérer, d’autant que j’avais également accepté de faire deux chroniques par semaine sur France Bleu.

C’est un rêve d’enfant qui se concrétise, j’imagine.
Ah oui ! A Toulon, cette fameuse cliente de ma mère m’emmenait voir les artistes à la fin de la représentation, en leur disant (avec l’accent du Sud de la France) « la petite elle aimerait bien devenir chanteuse ». Je devais avoir sept ou huit ans. Je me souviens aussi de ces chanteurs m’avertissant : « Vous savez, dans ce métier, il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus. ». C’était décourageant, d’autant qu’il n’en faut pas beaucoup pour me décourager.

Ce contact prolongé avec l’opérette va-t-il influer sur l’écriture de vos sketches ?
J’aimerais reprendre les couplets du Caissier. Je vais demander si je peux disposer de la bande orchestrale. Il doit y avoir une question de droits. En tous cas, oui, je pense que je parlerai des Brigands dans mes shows. Je voudrai expliquer cette aventure, ne serait- ce que pour ceux qui n’ont pas pu venir voir le spectacle. Je ne peux pas faire comme si cela n’avait pas existé. C’est tellement énorme. C’est aussi tellement de boulot. Je vois bien qu’il me faut encore approfondir ma technique : porter la voix, la projeter…

Redoutez-vous le public de l’opéra ?
Non, je n’ai jamais peur du public. Je pense que peu ou prou, il y a peu d’écart entre le public de l’Opéra Garnier et le public de mes spectacles.

Il peut être plus exigeant musicalement.
Je ne pense pas être sifflée. Je ne me mets jamais dans cet état d’esprit. Au contraire, je me dis toujours que tout va bien se passer. Si l’inverse advenait, cela me donnerait la niaque pour travailler deux fois plus.

Vous écrivez vos textes seule ?
Non, je travaille avec les mêmes auteurs que pour mes chroniques sur Paris Première. Venant de l’univers de la musique, mais plutôt de la variété française, ils ont ce même souci de musicalité. J’ai notamment un co-auteur qui s’appelle Christian Bouclier, qui est vraiment un ayatollah de la rime. Mon monologue dans Les Brigands est écrit en alexandrins.

Si demain Barrie Kosky, ou un autre metteur en scène ou un chef d’orchestre vous contacte pour chanter de nouveau dans une opérette, accepterez-vous ?
Je pense que je dirais oui. Impossible de refuser ! Ne serait-ce que d’assister aux répétitions pour voir naître le spectacle sous mes yeux, tel que je le vois et je le vis pour Les Brigands depuis le 16 août. C’est une folie et c’est tellement joyeux !

* Affirmation discutable : Hortense Schneider avait pris des cours de chant, de diction et de jeu à Bordeaux avec un artiste nommé Schaffner, et avait débuté dans le rôle d’Inès de La Favorite à Agen. Lors de sa première audition devant Offenbach, elle chanta le boléro du Domino noir qui requiert une technique certaine et un ambitus supérieur à dix notes. Séduit, le compositeur aurait formellement interdit à la jeune artiste de continuer de prendre des cours de chant. D’où sans doute les propos de Barrie Kosky. La véracité de cette anecdote est souvent mise en doute.

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