En 1834, Adolphe Adam a 31 ans. Après avoir été l’élève et même l’assistant de Boieldieu au Conservatoire, Adam gagne sa vie en écrivant des divertissements pour le Paris un peu frivole de la veille de la Révolution de Juillet, avec ses amis Hérold et Auber. Un petit tour à Londres et le voilà revenu à Paris pour préparer un nouvel opéra-comique, alors qu’il en avait déjà écrit plus de 25.
Le livret de cette nouvelle oeuvre, tiré d’une historiette de Goethe devenue singspiel, Jery und Bätely, est réalisé par Scribe et Mélesville, mais ce n’est pas vraiment un roman fleuve métaphysique. Nous sommes en Suisse. Daniel aime Bettly et il est convaincu qu’elle partage son sentiment. Ce qui le persuade, c’est qu’il a reçu une lettre qui le lui dit. Sauf qu’il ignore que cette lettre a été écrite par les villageois, qui ont trouvé ce subterfuge pour se moquer de lui. Dans le coin, on est sympa avec ses voisins ! Mais, loin de se douter de cette farce au goût douteux, Daniel prépare derechef le mariage et voilà que, patatras, Bettly lui affirme qu’il se met le doigt dans l’oeil jusqu’au genou. Désespéré, Daniel décide de s’engager dans l’armée, dont des représentants logent justement dans le chalet de Bettly. Et parmi eux, ça alors, il y a le frère de celle-ci, Max, que Bettly réussit tout de même à ne pas reconnaître. Daniel lui demande de l’aide et Max réussit à arracher le consentement de sa soeur, qui finit par accepter le mariage et tout est bien qui finit bien. Voilà, voilà…
Sur cet argument plus maigre qu’un homme qui marche de Giacometti, Adam va écrire une partition qui va vite devenir l’une de ses plus célèbres. Le succès est en effet énorme à l’Opéra-Comique voici tout juste 190 ans et l’oeuvre se maintiendra à l’affiche plus de 1500 fois !
Le vieux professeur d’Adam, Boieldieu, affirme regretter de ne pas être l’auteur du livret, mais certains critiques éreintent l’oeuvre : « de la musique française dans le sens assez abaissé du mot, à la portée de l’intelligence musicale les plus bornées » écrira un critique, cité par Piotr Kaminski dans son indispensable Mille et un opéras… N’en jetez plus. Pour autant, cette intrigue aussi fine qu’une feuille de papier à cigarette inspirera bientôt d’autres compositeurs comme Donizetti ou Moniuszko : la simplicité n’exclut pas l’efficacité ! La musique d’Adam est assez caractéristique de ce répertoire de l’époque, et il n’hésite pas, comme bien d’autres de ses confrères, à réutiliser des morceaux déjà composés.
Après de longues années durant lesquelles l’oeuvre a complètement disparu des radars et des scènes, un disque récent – qui compte la très regrettée Jodie Devos en Bettly – est venu nous rappeler tout ce que ce répertoire peut avoir de rafraichissant. Normal, pour un chalet ! Et comme le dit cet extrait : arrêtons nous un peu… et écoutons.
