Attila, opéra patriotique ? « Tu auras l’Univers pourvu qu’il me reste l’Italie », la fameuse invective de l’émissaire romain, Ezio, au chef des Huns l’affirme. L’élan irrésistible de la phrase mélodique le surligne. Pourtant, le neuvième opéra de Verdi délaisse la ferveur risorgimentale pour s’attarder sur deux des personnages principaux, Attila et Odabella, au risque de négliger les autres protagonistes, Ezio et Foresto.
En ce qui concerne le premier, la faible personnalité artistique du créateur du rôle, Natale Costantini, expliquerait le manque de consistance dramatique du personnage. Tel n’était pas le cas de l’interprète du second. Carlos Guasco était considéré comme l’un des meilleurs dans sa catégorie, mais Verdi en ses vertes années ne s’encombrait pas de ténors. Nabucco ou Macbeth l’attestent. Déjà créatrice d’Elvira dans Ernani, Sophie Loewe devait disposer d’une voix phénoménale si on en juge au traitement de choc réservé à Odabella, contrainte dès son entrée à donner à pleine voix le contre-ut avant d’entamer une chute périlleuse jusqu’au si grave puis d’affronter deux airs antinomiques dans un exercice de schizophrénie vocale, l’un héroïque, l’autre élégiaque. Quant à Ignazio Marini, le premier Attila, une fréquentation répétée des opéras de Rossini l’avait doté d’une facilité dans l’aigu, avec pour conséquence de nombreuses incursions au-dessus de la portée.
C’est cet héritage que doivent assumer les chanteurs d’Attila, plus encore lorsque le choix d’une version de concert les prive des béquilles interprétatives que peuvent être costumes, décors et mise en scène. A Fidenza, sur la scène du petit théâtre dans lequel se déporte depuis trois éditions le Festival Verdi, l’histoire se répète. Ténor et baryton jouent les utilités tandis que l’attention se concentre sur basse et soprano.
© Roberto Ricci
En Foresto, Antonio Coriano certes sauve la soirée. Le ténor remplace au pied levé Luciano Ganci, initialement annoncé dans le rôle, ce qui explique peut-être une méforme due à un manque de préparation et dans le même temps l’absout des commentaires désobligeants que nous ne ferons pas. Un vibrato envahissant accuse les nombreuses années passées par Claudio Sgura au service de l’art lyrique. A défaut de superbe, l’air d’Ezio au deuxième acte « Dagli immortali culmini » fait valoir la longueur de souffle.
Auparavant, le duo dans lequel il lance sa fameuse phrase tourne en sa défaveur, tant son partenaire – et adversaire dans la pièce – lui oppose de jeunesse et de santé. La carrière de Giorgio Manoshvili compte moins de cinq années. Lord Sydney à Pesaro en 2021 amorce sa biographie officielle. Après Orbazzano dans Tancredi à Rouen et Capellio dans Bianca e Falliero de nouveau à Pesaro en 2024, la basse géorgienne chantera l’an prochain Assur dans Semiramide à Rouen et Paris. Rossinien donc, comme le créateur du rôle d’Attila, et capable à ce titre de répondre sans effort apparent aux nombreuses sollicitations de l’aigu. Le timbre est mis en valeur par un legato qui donne au chant l’apparence d’une longue étoffe de velours sombre. L’acteur doit gagner en liberté pour venir en aide au chanteur. L’expression est encore limitée. Si le geste gagne en fluidité, voilà un nom qui devrait rapidement devenir incontournable dans sa tessiture.
Le nom de Marta Torbidoni, lui, n’a pas encore franchi les Alpes. Après Abigaille sur cette même scène l’an passé, la soprano rappelle qu’elle est une des rares à pouvoir faire face aux défis d’une écriture inhumaine, sans que la précision du trait ne s’altère, sans que la vocalise se délite, sans que le timbre s’assèche. Brave, dans le sens que donnent les Italiens au qualificatif et dont ils usent pour acclamer chacun de ses exploits – brava ! –, même si la quadrature du cercle n’est pas tout à fait résolue. Sa romance du premier acte, « Oh! nel fuggente nuvolo » voudrait plus de délicatesse. Non que la voix violente la ligne mais le climat éthéré de l’air accepterait plus de nuances, plus de notes allégées et de sons filés.
L’orchestration de Verdi en ses années de galère déploie une éloquence que le Filarmonica Arturo Toscanini, entassé dans la fosse exiguë du Teatro Girolamo Magnani, peine à traduire. La taille réduite de la salle – 400 places – n’est pas étrangère à la contusion du son. Mais la direction de Riccardo Frizza impulse le mouvement qu’appelle cette musique pour pallier l’inégalité de l’inspiration, et le chœur du Teatro Regio, bien que ne disposant pas d’un numéro à part entière, dose couleurs et volume de manière à donner à chacune de ses interventions un relief saisissant.