A l’opéra, les secondes distributions (ou cast B) tiennent parfois des pochettes surprises ; avant de les ouvrir, on ignore ce qu’on va y trouver mais il peut bien arriver que le déballage révèle des moments inattendus et gratifiants.
Nous retournons voir Nabucco, ouverture de saison spectaculaire au théâtre du Capitole à Toulouse, histoire de se laisser surprendre par des chanteurs que nous ne connaissons pas, histoire surtout d’accéder à la prise du rôle d’Abigaille que réalise Catherine Hunold durant cette série de représentations (où elle alterne avec Yolanda Auyanet). Christophe Ghristi, le directeur de l’Opéra national du Capitole avait programmé huit représentations, en a finalement ajouté une neuvième et a prévu pour les rôles éreintants de Nabucco, Zaccaria et Abigaille une double distribution.
Cette soirée confirme tout le bien qu’il faut penser de la Fenena d’Irina Sherazadishvili, dont la voix résonne profondément, tout en sachant s’effiler délicieusement dans les aigus. Nous trouvons Jean-François Borras (Ismael) bien plus en forme que pour la première, et ce dès l’acte d’ouverture. Les rôles secondaires sont bien tenus par Blaise Malaba (le Grand Prêtre), Cristina Giannelli (Anna) et Emmanuel Hassler (Abdallo). Le chœur semblait moins appliqué dans le « Va pensiero » avec quelques décalages et une moindre homogénéité, mais l’ensemble de la prestation des troupes de Gabriel Bourgoin, chef des chœurs, demeure de grande qualité. Orchestre irréprochable, emmené de façon plus fluide que pour la première par Giacomo Sagripanti qui recueille les justes louanges du public.
Et maintenant, ouvrons la pochette surprise : Sulkhan Jaiani avait été un Nikitich remarqué dans le Boris Godounov du TCE en mars dernier. Il est titulaire ce soir du rôle à haut risque de Zaccaria ; rappelons que Verdi avait la grande basse Derivis sous la main, et qu’il en a profité pour gratifier le rôle de Zaccaria de trois moments particulièrement délicats à négocier. Mais dès le « Sperate o figli », Jaiani prend le dessus. Il possède une basse bien profonde, très étayée dans les graves, à laquelle il peut manquer parfois seulement un cantabile stabilisé. Ovation fournie et entièrement méritée au baisser de rideau.
Sulkhan Jaiani © Marco Magliocca
Autre belle surprise : nous avions découvert Alksei Isaev à Toulouse dans le Borgne (Die Frau ohne Schatten) ; il est ce soir Nabucco, rôle autrement plus exigeant. Isaev s’impose d’entrée par la projection et l’autorité, et la capacité à nuancer. L’acte de la prison est plus délicat à négocier (un « Dio di Giuda » incertain) mais le final le voit recouvrer tous ses moyens et toute son autorité.
Impression plus mitigée pour l’Abigaille de Catherine Hunold. La force est là, incontestablement, les aigus perforeraient les plus solides cuirasses car le fer est tranchant. L’aigu est autoritaire et entièrement sous contrôle, mais non sans stridences, et les graves sont fournis. L’arioso qui ouvre le II manque de fluidité, le contre-ut est court et court aussi l’ut grave qui suit immédiatement. Ce sont au total des nuances qui nous ont manqué, celles qui rendent crédible le retournement de situation inattendu à la conclusion de l’œuvre.
Au final une seconde distribution qui représente un très beau pendant à la première.