Le premier mérite de cette représentation unique de La liberazione di Ruggiero dell’isola d’Alcina (abrégé Alcina et à ne pas confondre avec celle de Haendel) au Théâtre du Capitole de Toulouse est sans conteste de nous permettre de découvrir une œuvre on ne peut plus rare (elle ne figure pas dans les 1001 opéras de Piotr Kaminski, c’est dire !). On se souvient d’une représentation chroniquée par Forumopéra à Bruxelles en 2016.
On la doit, et c’est une deuxième caractéristique intéressante, à une compositrice : Francesca Caccini (1587-après 1641) était d’abord et avant tout chanteuse, luthiste, poétesse et professeur de musique italienne. Francesca Caccini, née à Florence, est la fille de Giulio Caccini et de Lucia di Filippo Gagnolandi, chanteuse. À sa naissance, son père est au service des Médicis et l’initie très jeune à la musique. Il lui apprend le chant, le clavecin, le luth, la théorie musicale et la composition. À l’âge de vingt ans, elle est engagée comme musicienne sous l’autorité du Grand-duché de Toscane.
L’excellente réputation de Francesca l’a conduite à répondre à des propositions de la cour d’Henri IV ; c’est du reste au mariage de ce dernier avec Marie de Médicis que fut donné ce qui est considéré aujourd’hui comme le tout premier opéra, Euridice, composé par Jacopo Peri en 1600. Elle fait partie des premières chanteuses virtuoses qui sont alors l’objet d’une adulation « furieuse » de la part de la noblesse comme du clergé. Et elle était très généreusement défrayée, dit-on.
Cette Alcina est considérée comme le premier opéra composé par une femme. Elle est classée opera comica, en quatre scènes, écrite à partir d’un livret de Ferdinand Saracinelli d’après l’Orlando furioso de l’Ariosto. Cet opéra aurait été créé le 3 février 1625 à la Villa Poggio Imperiale de Florence. L’œuvre eut un tel succès que deux nouveaux opéras furent commandés à Caccini. Malheureusement, ceux-ci n’ont pas été préservés, ni retrouvés à ce jour.
La trame est somme toute assez indigente : l’enchanteresse Melissa arrive sur l’île d’Alcina, avec l’intention de libérer Ruggiero des griffes de la maléfique sorcière qui a ensorcelé le héros et l’a éloigné de son véritable amour, Bradamante. Melissa prend l’apparence d’Atlante et réveille Ruggiero. Elle se moque de lui et lui reproche d’être tombé sous le charme d’Alcina et l’exhorte à redevenir soldat. Ruggiero se ressaisit et décide de quitter Alcina. Celle-ci revient, découvre que Ruggiero l’a quittée et devine que sa propre fin ne saurait tarder. Alcina s’en va, furieuse, avouant sa défaite.
C’est sans doute la pauvreté du livret qui prive cette pièce de véritables moments dramatiques, le point culminant étant sans conteste le final de la scène 2 avec la confrontation entre Alcina et Ruggiero ; et encore s’agit-il essentiellement d’un quasi monologue de la sorcière, sorte de lamento où se perçoivent les tempêtes qui traversent l’esprit d’Alcina.
Il faut rendre hommage à l’ensemble I Gemelli et ses onze musiciens qui nous permettent cette découverte. Emiliano Gonzalez Toro, qui chante Ruggiero et, cette fois-ci, ne dirige pas (c’est Violaine Cochard qui le relaie discrètement depuis son clavecin) est donc de retour à Toulouse. Son Il ritorno d’Ulisse in patria avait connu un franc succès la saison dernière. Le rôle masculin principal est peu caractérisé et son duo avec Alcina tourne court. Les rôles principaux sont ceux de la sorcière et de l’enchanteresse. Melissa est fièrement incarnée par Lorrie Garcia au mezzo envoûtant : on comprend qu’il ait agi sur l’esprit de Ruggiero. Alix Le Saux qui, à Bruxelles était en décembre dernier l’Euryclée du Ritorno donné par I Gemelli tient le rôle de la sorcière. Son morceau de bravoure est donc le final de la scène 2 qu’elle rend avec force et conviction. Il faut remarquer la belle homogénéité de l’ensemble vocal. Juan Sancho (Neptune et Astolfo), Natalie Perez (la demoiselle et la messagère), Cristina Fanelli (la sirène) et Pauline Sabatier (sirène) composent, en plus de leurs rôles, un chœur très cohérent. Mention spéciale à Nicolas Brooymans (le monstre) et Jordan Mouaissia (le berger et la Vistule) pour leur duo enchanteur à la première scène. Enfin Mathilde Etienne ne se contente pas de –bien – chanter une sirène, elle propose une mise en espace astucieuse. L’ensemble orchestral de tout premier plan est séparé en deux : cordes frottées et vents à jardin, cordes pincées et percussions à cour. Entre les deux, un espace où peuvent se mouvoir les personnages et où auraient dû se donner les ballets – incontournables dans l’opéra du début du XVIIe siècle.
CACCINI, La liberazione di Ruggiero dall’isola d’Alcina – Toulouse
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Infos sur l’œuvre
Commedia in musica en un prologue et quatre scènes
Musique de Giulia Caccini
Livret de Ferdinando Saracinelli d’après Orlando furioso de Lodovico Ariosto, Orlando innamorato de Matteo Maria Boiardo et Gerusalemme liberata de Torquato Tasso.
Créé à la Villa di Poggio Imperiale (Florence) le 3 février 1625
Détails
Mise en espace
Mathilde Étienne
Alcina
Alix le Saux
Ruggiero
Emiliano Gonzalez Toro
Melissa
Lorrie Garcia
Neptune / Astolfo
Juan Sancho
Demoiselle / Messagère
Natalie Perez
Un Monstre
Nicolas Brooymans
Berger / La Vistule
Jordan Mouaissia
Sirène / Demoiselles
Mathilde Étienne, Cristina Fanelli, Pauline Sabatier
Ensemble I Gemelli
Direction musicale
Emiliano Gonzalez Toro
Toulouse, théâtre du Capitole
Dimanche 13 octobre 2024, 16h
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Musique de Giulia Caccini
Livret de Ferdinando Saracinelli d’après Orlando furioso de Lodovico Ariosto, Orlando innamorato de Matteo Maria Boiardo et Gerusalemme liberata de Torquato Tasso.
Créé à la Villa di Poggio Imperiale (Florence) le 3 février 1625
Détails
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Mathilde Étienne
Alcina
Alix le Saux
Ruggiero
Emiliano Gonzalez Toro
Melissa
Lorrie Garcia
Neptune / Astolfo
Juan Sancho
Demoiselle / Messagère
Natalie Perez
Un Monstre
Nicolas Brooymans
Berger / La Vistule
Jordan Mouaissia
Sirène / Demoiselles
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