La Terreur et ses excès ont inspiré des chefs-d’œuvres tels qu’Andrea Chénier ou Le Dialogue des Carmélites. Sans en être un, ce Piccolo Marat reste inventif et impressionant. Loué soit donc l’Angers-Nantes Opéra d’oser donner une telle rareté du compositeur de Cavalleria Rusticana. Cette production se justifie d’autant plus qu’elle évoque le passé de la région, lorsqu’un délégué de la Convention vidait les prisons en faisant couler des bateaux remplis de prisonniers. En référence au célèbre député, on appelait ses hommes les Marat, d’où le nom du héros de ce drame, le Petit Marat, censé être le plus cruel d’entre eux, en réalité un infiltré. Prince de son état, il gagne la confiance de l’Ogre (privé de tout nom, figure symbolique) pour sauver sa mère de la noyade, un histoire d’amour inattendue avec la nièce servante (Mariela) de l’Ogre apportant la romance nécessaire. A côté des grands airs des protagonistes et des duos d’amour, l’œuvre offre des moments assez intenses aux personnages secondaires : la Mère bien-sûr, mais surtout le Charpentier (terrifié de devoir concevoir des bateaux au si funeste destin et condamné à s’endurcir en devant assister à toutes les exécutions publiques, c’est lui qui assassinera l’Ogre) et le Soldat, qui, par ferveur républicaine, tentera de révéler les méfaits de l’Ogre à la foule, laquelle se retournera contre lui pour crime de lèse-Robespierre dans sa harangue. Le traitement polyphonique du chœur offre des moments assez saisissants, notamment lors de la longue et puissante introduction de l’acte I. Le spectateur avisé s’amusera des échos à Cavalleria (les « mama » un peu simplets entonnés par le héros) ou à Tosca (l’Ogre qui rédige le sauf-conduit pour les amants fugitifs ou le Charpentier qui se penche sur lui après l’avoir poignardé), sans pour autant y voir la moindre copie. On pourra juste reprocher à l’ensemble de chercher l’excès, le débordement de façon trop récurrente (étrange d’ailleurs pour un compositeur qui déclarait chercher ici à s’éloigner de la veine vériste), mais les moments plus apaisés ménagés dans la partition permettent d’éviter l’overdose.
S’il est toujours malaisé de juger avec acuité une œuvre que l’on découvre, on peut au moins reconnaitre que l’équipe réunie ce soir ne manque pas d’énergie. Passés les trois acolytes de l’Ogre difficilement audibles, nous sommes convaincus par le portrait fervent du soldat que brosse Matteo Lorenzo Pietrapiana. Le Charpentier de Stavros Mantis étonne d’abord par l’ampleur de sa projection, tout en préservant de riches harmoniques, c’est l’intensité de son jeu dramatique qui marque durablement. Que ce soit dans le remord, la faiblesse de l’effroi ou la fièvre de l’assassinat vengeur, son interprétation est d’une vivacité poignante. Sylvia Kévorkian doit se contenter d’un duo et quelques interventions pour faire exister la mère du héros, elle réussit toutefois à restituer un personnage crédible et marquant, cette voix de mezzo au cuir rugueux en renforçant le réalisme. La Mariella de Rachele Barchi ne manque pas de bonne volonté, mais le forçage de son registre aigu entraîne beaucoup de stridences assez désagréables (la fin de sa comptine qui ouvre l’acte II !). Le petit Marat de Samuele Simoncini est tout aussi emporté que prosaïque : le personnage manque de profondeur et d’élégance, le chanteur semblant coincé dans la vaillance requise à de nombreuses reprises. Si l’on excuse des sons nasillards pour passer un orchestre déchaîné, on reste sur notre faim pour les duos d’amour qui paraissent un peu longs. L’Ogre d’Andrea Silvestrelli jouit d’une voix monstrueuse idoine : caverneuse, au timbre un peu sale et à la justesse souvent hésitante, c’est surtout le meilleur acteur du plateau qui mets ses ressources généreuses au service de l’épouvantail du drame. La mise en espace de Sarah Schinasi efficace pour les autres, semble transfigurée par la simple présence du vilain. Autre preuve de son intelligence, sa capacité à polir ses moyens pour rendre de l’humanité à son personnage aux moments forts que sont sa diatribe contre l’ancien régime ou son cauchemar.
L’Orchestre National des Pays de la Loire dirigé avec ardeur par Mario Menicagli et le Chœur d’Angers Nantes Opéra se surpassent pour électrifier ce drame. Certes l’intelligibilité des uns ou la précision des autres sont très perfectibles, certes la pente vers le cataclysme est régulièrement empruntée avec plus d’élan que de maitrise, mais l’exécution reste très estimable pour une œuvre découverte et travaillée pour seulement trois représentations.