Comme le souligne Rosetta Cucchi, directrice artistique depuis 2020, les redécouvertes lyriques sont dans l’ADN du festival de Wexford. Le thème de cette année – le théâtre dans le théâtre – se prêtait idéalement à l’exhumation de l’exubérant the Critic, an opera rehearsed de Charles Villiers Stanford travaillant à partir d’une pièce de Richard Brinsley Sheridan. Les deux auteurs sont irlandais, ce qui rendait ici la recréation incontournable.
A la manière des poupées russes, Sheridan lui-même, en 1779, s’appuyait sur une pièce élisabéthaine parodique de 1671. Ainsi, dans l’écriture même il s’agit d’un théâtre dans le théâtre dans le théâtre, mais cousu de blanc à l’extrême au point que tous les fils de trames y sont exposés, grossis, caricaturés.
Quel éprouvant métier que celui de critique ! Le rideau se lève sur trois comédiens grimés en costumes XVIIIe incarnant le personnage éponyme, donc, convié par l’auteur et le compositeur à assister à la répétition de leur dernier opéra, The spanish Armada. Mark Lambert, Jonathan White et Arthur Riordan, irrésistibles, seront nos guides dans les invraisemblables embroglios de cette exécrable pièce du XVIIe siècle qu’ils commentent et interrompent sans cesse, à l’exaspération croissante des artistes.
Les tenues d’époques de Massimo Carlotto sont magnifiques, l’idée de placer l’action à l’envers au premier acte, comme si le public se trouvait en fond de scène face à une salle qui évoque le Globe, est excellente tout comme les jeux avec les codes de la scénographie baroque crées par John Comiskey qui s’amuse de toiles peintes, tissus, trompe-l’œil et autres accessoires de carton-pâte.
Voilà l’écrin idéal pour la mise en scène jubilatoire de Conor Hanratty qui accentue encore l’inanité volontaire du livret en déclinant tous les possibles d’une répétition : de réactions emphatiques à contretemps, en passant par les accessoires manquants, les batailles mal rythmées, les trous de mémoire remplacés par un vague chantonnement, l’impératif de mourir à nouveau, plus efficacement… La liste est fort longue et pourtant, tout cela est fait avec un grand sens de l’équilibre et du rythme – y compris dans le sur-jeu – évitant toute sensation d’à peu près.
Le cast s’est manifestement saisi avec bonheur de cette occasion d’en faire trop. Très homogène, il est formidable d’autodérision. On saisit chaque mot de ce texte qui confine parfois au surréaliste comme lorsque la déclaration d’amour de la jeune Tilburina se mue en leçon de botanique puis d’ornithologie. C’est d’ailleurs sans doute Ava Dodd, son interprète, qui se voit attribuer la partie la plus conséquente avec une enchaînement de soliloques dont la soprano irlandaise ne fait qu’une bouchée. Entendue ce printemps dans le Lac d’argent de Kurt Weill à l’opera National de Lorraine, débutant cet hiver en Adina à l’ English National Opera de Londres, elle bénéficie d’un timbre ductile, tout en agilité. Son talent de comédienne s’avère patent dans l’hilarante scène de folie parodique comme dans la la pathétique scène d’amour où Dane Suarez lui donne la réplique avec panache et de belles nuances en dépit d’un soutien intermittent.
Le père de la jeune fille, incarné par Rory Dunne est fort à son affaire tout en drôlerie et en fausse grandiloquence.
Issue de la Factory du festival – le programme de professionnalisation des chanteurs irlandais fondé il y a quatre ans – Hannah O’Brien campe la suivante et bénéficie d’un timbre charnu aux beaux graves tandis qu’Oliver Johnston et Ben McAteer campent d’impeccables « cavaliere » mâtinés de Tweedledum et Tweedledee tout aussi impeccables que Gyula Nagy.
L’orchestre du festival, très en verve sous la houlette souple, nuancée d’un beau jeu de couleurs de Ciarán Mc Auley, bénéficie de riches moments instrumentaux comme lors de l’irrésistible tableau où un personnage fait une entrée pleine de componction et passe par tout un arc-en-ciel d’émotions silencieuses entièrement portées par l’orchestre avant de ressortir sans avoir jamais ouvert la bouche.
Quelle mouche a donc piqué le très prolifique et sérieux Stanford, professeur de composition au Royal College of Music de Londres, pour commettre cette pièce improbable ? Si ce type de spectacle plein de « nonsense » est sans doute typiquement britannique et irlandais, comme le souligne de Dr Walsh dans une fort éclairante conférence donnée le matin de cette Première, l’on se prend également à convoquer en écho tous ces créateurs d’opérettes déjantés, Hervé en tête – « le compositeur toqué » comme on le surnommait – organistes très sérieux le jour et compositeurs d’œuvres délirantes la nuit venue, comme pour équilibrer le sérieux de leur carrière par un souffle tout droit venu d’Absurdie.
Un spectacle à découvrir les 24, 27 octobre et 1er novembre, pour lequel on rêverait d’une reprise tant le travail en est original et abouti.