Pour sa nouvelle création Jeune Public, L’Opéra national du Rhin n’a eu qu’à tourner le regard de l’autre côté de l’Ill pour plonger dans le répertoire alsacien, portant à la scène le délicieux album de Tomi Ungerer, les Trois Brigands, qui a enchanté des générations d’enfants depuis sa parution en 1961. Le musée consacré à l’illustrateur se trouve à un jet de pierre de l’institution strasbourgeoise.
Toutes les deux saisons, l’OnR passe commande d’une œuvre nouvelle. Après Les rêveurs de la lune d’Howard Moody en 2022, Didier Puntos propose une partition sensible au langage très accessible, indéniablement contemporain mais toujours au service de la narration et des émotions des personnages.
Le compositeur alterne direction et piano à quatre mains avec un choix de l’instrumentarium particulièrement pertinent car les percussions comme les clarinettes de l’excellente Garance Murard complètent idéalement le clavier pour installer des atmosphères prenantes entre cauchemars et poésie. Les couleurs changeantes, le flux sonore continu mais très rythmique nous projettent très efficacement dans l’histoire si visuelle de l’album original.
Le public d’enfants ne s’y trompe pas qui s’immerge immédiatement, hilare ou retenant son souffle, dans les facéties du plateau d’excellente tenue offert par les jeunes artistes de l’Opéra Studio.
Il faut dire que le librettiste, Gilles Rico, endosse également la casquette bicéphale de metteur en scène. Il est évident qu’il a écrit en pensant déjà au rythme de l’action. Le duo qu’il forme avec Jean-Philippe Guilois a particulièrement soigné la direction d’acteur : les cinq solistes font merveille dans un décor en forme de livre « pop-up » imaginé par Philippine Ordinaire et qu’ils transforment à vue. Joyeux et vibrionnants, ils sont très à l’aise en dépit d’une partition exigeante. Ils assument la dimension « cartoonesque » de leurs personnages encore accentuée par les costumes imaginés par Violaine Thel – clin d’oeil aux habits de poupée en papier découpé -.
Guidés par la très convaincante Cathy Bernecker en narratrice/marraine-fée, la jeunesse est ici à la manœuvre puisque les impeccables musiciens sont ceux de la Hear* pérennisant ainsi un partenariat qui dure depuis huit ans, tandis que les solistes sont tous issus de l’Opéra Studio de l’OnR. Formé pour une ou deux années à Colmar, ils viennent du monde entier pour donner vie à l’univers si merveilleusement fantasque du grand illustrateur alsacien.
La soprano uruguayenne Ana Escudero a été formée dans son pays avant d’intégrer la Maîtrise de Notre-Dame de Paris, d’où son français impressionnant de naturel. Incarnant le personnage principal, elle évoque immédiatement l’Enfant et les Sortilèges par sa présence vive en parfaite adéquation avec un joli timbre frais et juvénile qui mériterait de plus jouer des nuances.
Elle commence sa seconde année au sein de l’Opéra Studio tout comme sa comparse Camille Bauer, au beau mezzo-soprano chaud, très legato, sonore sur l’ensemble de la tessiture.
Toutes deux donnent la réplique à l’excellent Carlos Reynoso qui vient d’intégrer la structure, fort d’une expérience scénique déjà conséquente. Comédien engagé dont l’énergie bougonne n’est pas sans évoquer celle d’un Joe Dalton, il bénéficie d’une voix charnue aux couleurs raffinées. Notons que le baryton mexicain est également le fondateur de « Ópera : Nuestra Herencia Olvidada » – Opéra : notre patrimoine oublié – une compagnie œuvrant à la promotion de l’opéra de son pays. Avec elle, il a enregistré des chansons inédites pour voix et piano de Cenobio Paniagua compositeur d’opéra du XIXe siècle.
Les deux autres brigands, ont plus de difficulté avec la prosodie française qui se teinte d’un accent assez charmant tout en restant clairement compréhensible. Le baryton-basse polonais Michal Karski a déjà beaucoup pratiqué la scène, il régale de son timbre ample et sensuel projeté avec générosité.
Il est plein d’humour et de drôlerie, tout comme Massimo Frigato dont le ténor s’avère un peu contraint dans un medium assez mat.
Ces artistes sont à retrouver au fil de la saison de l’OnR dans Peer Gynt, La Traviata ou encore Brundibár.
Avant cela, ils écumeront l’Alsace et le Grand Est avec ce nouvel opus d’« Opéra Volant », forme légère permettant de diffuser le répertoire lyrique sur l’ensemble du territoire. Une proposition portée par l’Opéra national du Rhin pour la quatrième année consécutive.
Ainsi les Trois Brigands voyageront-ils jusque fin janvier dans la région pour quinze représentations. Outre Colmar, Mulhouse et Strasbourg, ils seront également à l’affiche à Saint-Dizier, Sarre-Union, Vogelgrun et Sainte-Marie-aux-Mines.
* Haute Ecole des Arts du Rhin