Il y a quelques temps sur ce site, notre confrère Yves Jauneau s’interrogeait sur la pertinence de la surabondance d’albums solos qui fleurissent les bacs de nos disquaires. Avouons que ses considérations nous sont revenues à l’esprit, à l’écoute du Bach Arias for alto de Zoltan Darago. Cet album constitue les débuts au disque de ce jeune contre-ténor hongrois peu connu encore, que l’on a pu voir dans Orfeo, L’Incoronazione di Poppea ou Akhnaten, en Hongrie, en Finlande ou plus récemment à Amsterdam. Rejoint par Les Talens Lyriques sous la baguette de Christophe Rousset, il nous propose ici une incursion dans les toutes premières années de Bach à l’église Saint-Thomas de Leipzig.
Zoltan Darago possède incontestablement une fraîcheur et une clarté de timbre de bel effet dans ces pages religieuses. Hélas, cette jolie voix pâtit de registres trop hétérogènes, dont l’aigu est légèrement acidulé, le grave plus charnu mais peu sonore. Son phrasé élégant convient bien aux passages les plus suspendus, mais sa vocalisation laisse encore à désirer en mordant et en agilité. Quant à l’interprète, il reste en-deçà de la partition, comme extérieur, ne nous convaincant jamais réellement, ni dans les exhortations au pêcheur, ni dans la contemplation béate, ni dans la joie du croyant. Cette froideur de l’artiste tient peut-être également à une diction allemande extrêmement lâche, aux consonnes trop effacées, aux voyelles interchangeables, laissant l’auditeur à la marge d’airs aux textes pourtant beaux et puissants. Tout cela donne l’impression d’impréparation inconfortable, et l’on ne peut s’empêcher de s’interroger : laisser encore quelques années à cette voix pour mûrir, pour gagner en force et en flexibilité n’aurait-il pas été plus judicieux que de graver un album solo si tôt ?
Ajoutons-on à cela que la prise de son nous a semblé assez peu valorisante, gommant la voix, comme voilée, au profit de l’orchestre. Il est vrai que les Talens lyriques déploient leurs qualités plastiques dans ces extraits de cantate où chaque pupitre a l’occasion de s’épanouir, du hautbois d’amour joueur de « Vergnügte Ruh, beliebte Seelenlust » aux cors riches et conquérants d’« Erfreute Zeit im neuen Bunde », en passant par l’orgue somptueux de Christophe Rousset dans « Geist und Seele wird verwirret » et les malicieux entrelacements de flûte et cordes dans l’introduction de « Wohl euch, ihr auserwählten ». Mais là encore, cette beauté instrumentale ne suffit pas, l’alchimie avec le chanteur ne s’accomplissant jamais réellement. Si, dans « Wohl euch, ihr auserwählten Seelen », la légèreté et l’entrain de l’orchestre prévalent et entraînent le chanteur dans une jolie symbiose, cette unité ne se maintient pas dans tout le programme, notamment dans « Du machst, o Tod, mir nun nicht ferner bange », où la voix nous a paru particulièrement à la traîne.
C’est donc avec un sentiment d’inachevé que l’on finit l’écoute de cet album, mais aussi avec un sentiment de regret : avec un peu plus de maturité, tout était sans doute là pour rendre justice à ces pages musicales.