A l’occasion du centenaire de la mort de Giacomo Puccini, Warner Classics publie, à une distance judicieuse des fêtes de fin d’année, un coffret réunissant la majeure partie de son œuvre vocale. Avec des distributions rassemblant les grands pucciniens du XXe siècle, cette réédition offre un beau panorama du paysage puccinien du siècle dernier.
Seul bémol de cette édition : l’absence d’intégrale de Le Villi et d’Edgar, premiers opéras du maître de Lucques qui ne figurent pas au catalogue Warner Classics, et dont il faut se contenter d’extraits, certes forts réussis, enregistrés par Roberto Alagna en 1996. Pour le reste, tous les opéras de Puccini sont là, certains dans des versions superlatives, d’autres dans des enregistrements plus anecdotiques. La Bohème de 1987 sous la baguette de James Conlon manque ainsi significativement d’italianità, chose assez regrettable dans un opéra si connu et rebattu, mais elle vaut tout de même pour le Rodolfo charismatique de José Carreras. De même, avouons ne pas être pleinement séduit par la Ciò-Ciò-San de Renata Scotto, émouvante, mais sans les splendeurs plastiques d’autres titulaires du rôle. À ses côtés en revanche, le Pinkerton solaire et fougueux de Carlo Bergonzi et le Sharpless tout en rondeur de Rolando Panerai donnent un éclat irrésistible à ces rôles plus secondaires.
Dans l’excellent, notons le couple explosif formé par Montserrat Caballé et Plácido Domingo, emportant tout sur leur passage dans Manon Lescaut, et celui, au charme plus discret, d’Angela Gheorghiu et Robert Alagna dans La rondine, elle déroulant des legati dans lesquels son timbre moiré se reflète avec élégance, lui brillant par une projection franche et claire conférant une fougue juvénile à son Ruggero. Parmi le meilleur de ce coffret également, la Turandot de 1977 dirigée par Alain Lombard, dans laquelle le Calaf lumineux de José Carreras affronte la Turandot glacée de Montserrat Caballé. Surtout, on y retrouve avec délice la Liù idéale de Mirella Freni, au timbre rond, chaud, velouté qui semble créé spécialement pour les délicates volutes vocales de la mort de la petite esclave.
Mais le protagoniste le plus saillant de cette intégrale, de manière peut-être quelque peu inattendue, c’est Tito Gobbi, qui y apparaît en Scarpia, Michele d’Il Tabarro et Gianni Schicchi. Dans Scarpia, rôle iconique, il affronte évidemment la Tosca de Callas, tous deux incandescents, d’une violence théâtrale viscérale, mythiques. On retrouve l’art du mot incisif de Gobbi, sa capacité fascinante à créer un personnage entier en quelques inflexions de voix, dans les deux ouvrages du Trittico qu’il interprète. Son Michele d’Il Tabarro est terrifiant, troublant dans son monologue grinçant précédent le meurtre de Luigi. Quant à son Gianni Schicchi, entouré d’un excellent groupe de chanteurs de caractère en parents avides, il brille par son humour, tirant là aussi parti d’une diction toujours au service du théâtre, dont la scène du faux testament est l’apogée.
Quelques récitals en solo viennent compléter ces intégrales d’opéra. Montserrat Caballé, dans un enregistrement de 1970, y interprète notamment un « Donde lieta uscite » absolument enchanteur, étirant des crescendi et decrescendi sans aucune limite apparente. Quant à Maria Callas, son récital de 1954 brille par son art théâtral, chaque personnage prenant corps en un ou deux airs. Son « Sola, perduta, abandonatta » (Manon Lescaut) est frémissant de sensualité et d’émotion, un condensé de tout son art en quelques minutes.
Large panorama puccinien alternant indispensables de la discographie et enregistrements moins connus, parfois à tort, ce coffret remplit donc tout à fait ses promesses, et peut tout aussi bien compléter une discothèque déjà bien fournie que servir de première pierre à un néophyte.