Après Aix-en-Provence, Pesaro, Monte-Carlo ou Paris, entre autres lieux sacrés de l’opéra, l’Avant-Scène Opéra pousse les portes du Château de Versailles, un des sanctuaires lyriques les plus anciens et en même temps les plus récents de France.
Construit sous Louis XV dans la perspective des fêtes du mariage de son petit-fils, le futur Louis XVI, avec Marie-Antoinette, l’opéra fut inauguré le 16 mai 1770. Son emplacement fut choisi dans l’aile nord du Château, proche des réservoirs afin d’être en mesure le cas échéant de lutter contre l’incendie – le pire des fléaux dans des théâtres en bois éclairés à la chandelle. Conçue par l’architecte Ange-Jacques Gabriel, la salle apparaît comme un chef-d’œuvre du style néoclassique, riche en boiseries et trompe-l’œil imitant le marbre.
Passé les festivités, l’Opéra Royal ne fut que peu exploité. Iseult Andreani énumère les rares jalons de son histoire, des célébrations mariales des futurs Louis XVIII et Charles X sous l’Ancien Régime à la visite d’Elisabeth II en 1957. Les XIXe et XXe siècles ne surent pas tirer parti de ce théâtre exceptionnel. Berlioz y dirigea en 1848 un concert au profit de la caisse de l’Association des artistes musiciens – c’est à peu près tout. La création du musée de Versailles dans les années 1830 s’accompagna d’une prétendue remise en état préjudiciable à la décoration d’origine. La Troisième République balbutiante installa l’Assemblée nationale puis le Sénat dans les ors de la salle, non sans dommage. La restauration entreprise après la seconde guerre mondiale, si elle rendit au lieu son aspect initial, s’avéra désastreuse pour la machinerie originelle, détruite en grande partie. Après une nouvelle campagne de travaux menée de 2007 à 2009, la gestion du théâtre fut confiée à une société privée, Château de Versailles Spectacles.
Sous l’impulsion de son directeur, Laurent Brunner, l’Opéra Royal a atteint en peu d’années un niveau de programmation remarquable. Les spectacles y sont le plus souvent hébergés, quelquefois coproduits, jusqu’à la saison anniversaire des 250 ans qui porta à l’affiche de l’institution versaillaise la première production intégrale de son histoire moderne : Richard Cœur de Lion de Grétry mis en scène par Marshall Pynkoski.
La création en 2018 d’un label discographique indépendant a permis de conserver l’empreinte live de quelques soirées mémorables et dans le même temps de remettre en lumière incontournables et raretés du répertoire français du XVIIIe siècle, tel ce « concert français arrangé par M. Francoeur » pour le mariage du Comte d’Artois, décrit par Olivier Rouvière comme une « orgie sonore ».
Au bout du compte, il n’y a pas tant à dire sur une salle dont les heures les plus lyriques s’écrivent depuis peu d’années. Pour épaissir la sauce, l’Avant-Scène Opéra se faufile en coulisse, s’attarde sur les bancs de la Chapelle royale, s’échappe dans le Théâtre de la Reine et musarde dans les allées de l’Histoire. N’était-il pas finalement prématuré de consacrer un numéro à une si jeune institution quels que soient ses nombreux mérites ? L’intérêt variable des témoignages au fil des différents articles corrobore l’impression. Reste la qualité rédactionnelle et iconographique de la publication, aussi immuable qu’incontestable d’un numéro à l’autre.