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WAGNER, Der fliegende Holländer – Zürich

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Spectacle
24 novembre 2024
Les ténèbres du cœur

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Richard Wagner (1813-1883)
Der fliegende Holländer
Opéra romantique en trois actes
Livret du compositeur
Créé à Dresde le 2 Janvier 1843

Détails

Mise en scène
Andreas Homoki
Scénographie et costumes
Wolfgang Gussmann
Collaboration aux costumes
Susana Mendoza
Collaboration à la scènographie
Thomas Bruner
Lumières
Franck Evin
Video
Tieni Burkhalter
Dramaturgie
Werner Hintze

Senta
Camilla Nylund
Mary
Liliana Nikiteanu
Holländer
Tomasz Konieczny
Daland
Dimitry Ivashchenko
Erik
Marco Jentzsch
Steuermann
Omer Kobiljak

Chœur de l’Opéra de Zürich
Préparation du chœur
Janko Kastelic
Philharmonia Zürich

Direction musicale
Gianandrea Noseda

Production créée en 2013

Opernhaus, Zürich
21 Novembre 2024, 19h

Autres représentations
24, 30 Nov. 6, 10 Déc. 2024

Ce Fliegende Holländer avait été la première mise en scène de Andreas Homoki en tant que directeur de l’Opernhaus de Zurich. Il la reprend pour sa dernière saison, et de surcroît avec le couple Wotan-Brünnhilde de sa récente Tétralogie, Tomasz Konieczny et Camilla Nylund, et le chef qui la dirigea, Gianandrea Noseda. La soirée malheureusement sera moins marquante qu’attendu.

© Toni Suter

Cette production installe le drame dans les bureaux d’un armateur cossu. On est dans un avant-guerre (de 14-18) de théâtre ou de cinéma. On pensera souvent à des films de Marcel L’Herbier (L’Argent) ou de Murnau (Le dernier des hommes). Chapeaux melon ou Kronstadt, moustaches en croc, faux-cols et redingotes pour les actionnaires qui viennent sur de grands tableaux surveiller l’arrivée de cargaisons venues d’Afrique, comme l’atteste une grande carte géographique du sud du continent où clignotent quelques comptoirs côtiers. De quels trafics s’agit-il, on le saura plus tard.

Boiseries sombres imposantes, vaste table où un télégraphe crache des dépêches, grandes marines encadrées d’or aux murs. À d’autres moments les choristes, – comme toujours à Zürich crédibles, individualisés, impliqués chacun –, en enlevant leur veston deviendront les employés de bureau en gilets et manches de lustrine de ce Daland qui arpente son royaume d’un air furibard (pardessus à col de fourrure, évidemment). On n’est pas encore à l’époque des porte-conteneurs et de la mondialisation, mais on comprend l’idée, plaquée vaille que vaille sur l’intrigue de Wagner. Évidemment cette transposition ne coïncide que de loin avec les mots des matelots, de Daland ou du Steuermann, ce pilote devenu ici une manière de fondé de pouvoir de l’irascible capitaliste (belle prestation vocale d’Omer Kobiljak, l’un des piliers très sûrs de la troupe de Zurich).

Omer Kobiljak © Toni Suter

Revenu des ténèbres

Dans ce décor apparaîtra bientôt (comme surgi de la masse des agioteurs) la silhouette étrange, radicalement autre, couverte d’une pelisse tenant de la peau d’ours et coiffée d’un gibus à plumes (tel un sachem de BD) du Hollandais volant, le visage tatoué de peintures tribales, et les mains aussi, comme s’il avait vécu on ne sait quelles aventures dans les profondeurs tropicales (on songe bien sûr à Kurtz dans Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad et à Brando dans Apocalypse now).
Bon. Pourquoi pas ? On n’a rien contre les références et cet imaginaire à la Jules Verne revu par François Schuiten. Mais Homoki se laisse dériver vers la caricature ; on pense ici aux fileuses du deuxième acte, qui deviennent un bataillon de secrétaires dûment chignonnées, corsetées, lunettées, leurs rouets se transmuant en machines à écrire (belle collection) et Mary (la nourrice de Senta) en chef de bureau trottinant sur ses talons bobines.

Tomasz Konieczny © Toni Suter

Le pittoresque envahit la scène et le vaste décor tourne sur la tournette (un équipement que Homoki découvrit à cette occasion et dont il allait faire un usage intensif). Tout à l’heure on verra le vaste vaisseau de bois sombre se mettre en mouvement comme ferait un lourd cargo pris dans la tempête.
Bref il y a du spectacle, du pittoresque, du professionnalisme, mais peu de mystère et peu de ces arrière-plans que suggérait Tcherniakov dans sa récente mise en scène de Bayreuth, où l’on voyait l’ombrageux Hollandais revenir sur les lieux de son enfance pour venger sa mère, jadis victime de la bien-pensance des villageois.

Bousculades

Peu de mystère aussi dans la direction musicale de Noseda. Le prélude file à toute allure, misant tout sur l’énergie, la virulence. Trop de nerf, peu de gras. Les sonorités ne se fusionnent pas, les cuivres ponctuent quasi militairement le tempo. Hâtive, brusquée, une telle page dans cette lecture extravertie devient interminable.
Et la première intervention de Daland, non moins bousculée vocalement et rugueuse, n’apaisera guère les craintes. Dimitry Ivashchenko dessine un chevalier d’industrie impulsif et coléreux, d’une voix qui semble accuser une certaine fatigue. Les notes graves sont esquivées, le style un peu débraillé (adjectif qu’on aura souvent à l’esprit).

Tomasz Konieczny et Dimitry Ivashchenko © Toni Suter

Cette mise en scène avait été créée avec le duo Daland-Hollandais de Matti Salminen et Bryn Terfel, privilégiant l’un et l’autre, si l’on en croit notre collègue d’alors de Forum Opéra, la ligne de chant, le velours, les demi-teintes. Autant dire tout de suite qu’on ne s’inscrira pas dans cette esthétique. Tomasz Konieczny incarne un Hollandais brutal, sauvage, monocolore. D’une voix qui appellerait toutes les métaphores métalliques du répertoire, acier, tranchant, froideur. D’une puissance de feu considérable, elle lance ses pointes, vindicative et terrassante. Au point qu’on n’y reconnaît guère le Wotan trop humain du dernier acte de la Walkyrie, que tentait au moment des adieux de consoler sa Brünnhilde.

Voix noire

Son grand monologue « Die Frist ist um » est porté par une voix noire digne d’Alberich, qui domine sans problème les vagues de l’orchestre, et ses « Vergebne Hoffnung ! Furtchbar eitler Wahn ! – Inutile espérance ! Illusion redoutable et futile ! » sont d’une implacabilité fortissimo sidérante, d’un désespoir brutal qui cloue l’auditeur à son siège.
Autour de lui, sans doute bouleversés par tant de violence et de douleur, par cette puissance surhumaine, les actionnaires s’effondrent au sol dans une énigmatique séquence d’expression corporelle, suggérant peut-être on ne sait quels naufragés. Comme hallucinée, Senta traverse alors la scène.

Tomasz Konieczny © Toni Suter

C’est dans la même humeur, moitié bravache, moitié hirsute, que se déploiera la grande scène Daland-Hollandais, celle où l’étranger sort de ses poches des diamants et des perles qu’il jette sur la table comme prix de la fille du cupide capitaine-armateur, un dialogue où Wagner s’offre quelques ironiques flonflons de valse. L’ensemble brinquebale un peu, entre le manque de souplesse d’Ivashchenko, les duretés de Konieczny et un orchestre très à découvert dans l’acoustique peu indulgente de l’Opernhaus. Le chœur des matelots, « Mit Gewitter und Sturm », ne manquera pas de tonitruer à l’avenant.

À corps perdu

Le chœur des fileuses sera un peu mieux coiffé, introduisant la ballade de Senta. Si ses « Johohoe » seront d’un prudente retenue, c’est à corps perdu que Camilla Nylund se jettera dans cet air plein d’écueils qu’elle n’évitera pas tous. Des sauts de notes redoutables, une tessiture éprouvante (du si bémol grave à un si aigu mortifère), d’obsédantes notes hautes très tendues, un orchestre fortissimo (avec des cuivres particulièrement déchainés) mettront sa vaillance à rude épreuve. On admire son engagement et on salue la performance, dont bien peu de chanteuses aujourd’hui sortent victorieuses.

Camilla Nylund © Toni Suter

Son duo avait le Erik, lui aussi débridé, de Marco Jentzsch en costume de chasseur tyrolien, au style pour le moins intempérant, voire égaré (vériste au mauvais sens du terme ?), n’apportera guère de répit. Mettons à part la belle strophe « Fühlst du den Schmerz » accompagnée du cor anglais et l’ultime réplique de la scène (« Ach, möchtest du ») où Camilla Nylund retrouvera ses belles qualités de lyrisme.

La magie des retrouvailles

C’est dans son air « Mögst du mein Kind », un passage où Wagner semble rendre hommage à Weber et au premier romantisme, que Dimitry Ivashchenko sera à son meilleur et montrera une chaleur de voix et un sens de la ligne de chant dont on était en manque jusqu’ici (passons sur la cadence en forme de vocalise qui titubera un peu). Cet air introduit la grande scène Senta-Hollandais, tous deux menant leur je t’aime moi non plus autour d’un canapé Chesterfield apporté là par l‘infatigable tournette. Le moment où se révèlent les affinités profondes de ces deux âmes.

À nouveau, on est étonné par la noirceur, la métallescence de Konieczny dans sa méditation, « Wie aus den Ferne », pourtant intensément mélodique, et par une émission qui semble erratique, parfois très avant, parfois très gutturale, recherchant on ne sait quel effet expressif.
Mais il se passera quelque chose d’un peu magique dans le duo, justement sur cette mélodie enivrante. L’effet de leurs retrouvailles peut-être…
Malgré quelques notes tirées, c’est l’engagement des deux artistes qui crée un envoûtement auquel on ne peut résister. Konieczny y est à la fois séduisant et maléfique (et fait oublier la verdeur incongrue des notes répétées des trompettes à l’orchestre), il y déchaîne une virilité envoutante et, quand reviendra son thème, Senta n’aura plus qu’à céder à cet étrange aventurier, comme l’auditeur à leur duo, certes plutôt rude, mais d’une puissance à balayer les dernières réticences…

Camilla Nylund et Tomasz Konieczny © Toni Suter

Passons sur la bataille entre les marins norvégiens (ici les agioteurs en redingote) et les jeunes filles (ici le bataillon de secrétaires). Le Chœur de l’Opernhaus y est une fois de plus impeccable de précision, de plénitude sonore, côté hommes comme côté féminin, dans une scène de bataille rangée amoureuse, mise en place d’une main ferme et qui fait grand effet. Moment à grand spectacle où le Sinfonietta, non moins solide, peut faire déferler toute sa puissance.
Tandis que le drame va prendre un autre sens : on va voir la carte de l’Afrique subtropicale être décrochée et remplacée par une autre, de l’Afrique tout entière, comme pour montrer le succès frelaté de cette maison de commerce (de trafic, plutôt).

L’Afrique prend feu

C’est alors que, venu du lointain, s’élèvera le chant des marins du Hollandais, qu’on verra le fidèle serviteur noir de Daland quitter sa chéchia et sa livrée pour apparaître en pagne, couvert de peintures de guerre et une lance en main, et qu’on verra l’Afrique prendre feu… Alors on se rappellera avoir vu sur le même écran vidéo le Walhalla s’écrouler à la fin de Götterdämmerung

© Toni Suter

Même conduite d’une main de metteur en scène très sûre, cette allusion à l’effondrement des empires coloniaux laissera une impression d’artificialité et d’ailleurs la focale se resserrera vite sur une souffrance plus intime : celle d’Erik, revenu en costume de chasseur et fusil en main. Intime ? Toujours trompetant, Marco Jentzsch pleurnichera consciencieusement sa cavatine dans un style hérissé résolument incongru.

La brusquerie aura marqué décidément cette soirée et le tableau final n’y dérogera pas : le dernier trio sera passablement hurlé, mais on retiendra la force du dernier monologue du Hollandais « Erfahre das Geschick », où Konieszny montera à d’impressionnants sommets de noirceur et de dureté, et son ultime « Befrag die Meere », glaçant et désespéré.

Avant que Camilla Nylund, sur un cri poignant, au bout de sa voix et de son émotion, n’arrache le fusil d’Erik (on le voyait venir) et ne se tire une balle dans la mâchoire sur le dernier fortissimo de l’orchestre.

Marco Jentzch, Tomasz Konieczny et Camila Nylund © Toni Suter

Beau succès à l’applaudimètre.
Il n’empêche, c’est une de ces soirées dont l’on sort insatisfait et mal à l’aise en même temps.
Mal à l’aise, tant l’engagement des artistes inspire respect et admiration.
Insatisfait, tant le sentiment d’une occasion manquée laisse vaguement désemparé.

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