Pour son premier opéra écrit en langue tchèque en pleine volonté d’émancipation culturelle de son pays d’origine, Dvořák choisit en 1871 l’histoire légendaire d’un roi égaré dans la forêt bohémienne. À 30 ans, Il espère ainsi percer sur la scène lyrique. Cette légende est alors volontiers racontée aux enfants de la région depuis plus d’un siècle et fait l’objet de spectacles de marionnettes. C’est d’ailleurs à l’un d’entre eux que le compositeur emprunte la narration, dont il confie l’adoption pour la scène à Bernard Guldener. L’oeuvre prendra le nom de Le Roi et le Charbonnier.
La direction du théâtre provisoire de Prague (le théâtre national ne sera inauguré qu’en 1888) n’envisage pas une création avant la saison 1873/1874 et seule l’ouverture est présentée sous la direction de Smetana, avec un certain succès. Mais Dvořák est inquiet: les répétitions sont sans cesse repoussées et il commence à avoir des difficultés financières.
Mais à peine commencées (enfin), les répétitions butent sur de grandes difficultés techniques nécessitant toujours plus de temps. En cause ? L’écriture polyphonique assez complexe de la partition, que les chanteurs de la troupe pragoise n’arrivent pas à assimiler. Les solistes se plaignent rapidement et le choeur ne parvient pas à chanter ses parties. Comme pour trouver une excuse, tous se convainquent que leur travail est d’autant plus vain qu’une telle musique, malgré des beautés qu’ils ne nient pas pour autant, ne rencontrerait aucun succès public. Les répétitions sont une succession de cacophonies, de pertes de rythme, de bouillie dans les ensembles qui découragent Bedřich Smetana, qui les dirige, et qui affirme à Dvořák que tout ceci ne fonctionnera pas, selon le critique Novotny, qui y assiste. Smetana racontera sa propre version de la situation : « Je jetai un oeil à la partition de l’opéra de Dvořák Le Roi et le Charbonnier, qui était programmé dans notre théâtre; mais je réalisai qu’il ne pourrait pas être monté dans sa forme d’alors. Cependant, je ne voulais pas que quiconque pût penser que je le rejetai d’emblée, je décidai donc de continuer. Pendant les répétitions, nous n’avons pu faire que le premier acte, et avec difficulté, dès lors qu’aussi bien les membres de l’orchestre que les chanteurs, jugeaient impossible ce qui leur était demandé ».
La partition est donc rejetée et renvoyée à son auteur, qui décide d’écrire une nouvelle partition, entièrement nouvelle sans garder aucune page de sa première version, sur le même livret. On a longtemps pensé que Dvořák avait brûlé sa première mouture, mais celle-ci sera retrouvée et créée en 1929.
La seconde version du Roi et le Charbonnier entre en répétition en novembre 1874 dans de bien meilleures conditions et laisse espérer un grand succès cette fois. Tout le monde s’y met avec un optimisme qui tranche avec ce qui s’était passé trois ans auparavant. Le fait est que la création, voici tout juste 150 ans, est un triomphe qui propulse Dvořák au premier rang des compositeurs tchèques, ainsi qu’il l’avait espéré. Pourtant, le Théâtre provisoire ne prévoit que six représentations, ce qui suscite les vives critiques d’une presse qui est prompte à saluer le travail du compositeur. Dvořák en dirigera lui-même une reprise quelques années plus tard, non sans avoir à nouveau corrigé sa partition. Il le fera encore – de même que le livret, qui sera révisé par le critique Novotny évoqué plus haut – en 1887 ; après quoi l’oeuvre disparaitra à peu près complètement des scènes.
Que raconte donc cette fameuse légende ? En voici le résumé :
Le roi Matyáš chasse dans la forêt, près du château de Křivoklát, mais il perd son chemin. Il trouve refuge chez le charbonnier Matěj. Incognito, il passe la soirée avec les villageois et avec la fille du charbonnier Liduška, qu’il invite à danser, ce qui agace au plus haut point Jeník, promis à la jeune femme.
Le lendemain matin, Jeník surprend sa fiancée alors qu’elle embrasse ce fâcheux inconnu. Alors que Matyáš et Liduška lui expliquent de concert que ce baiser n’avait pas d’autre but que d’exprimer le remerciement du premier, Jeník, furieux, ne veut rien savoir. Il ignore que Matyáš venait de promettre à la jeune femme de l’aider à épouser le jeune charbonnier. Blessé, ce dernier décide de s’engager dans l’armée, pendant que le roi, toujours incognito, est invité par la famille de Matěj à se joindre à eux pour aller à la foire de Prague.
Les voilà qui arrivent dans la grande ville bohémienne et, à leur grande surprise, on les conduit au château. Ils tombent sur Jeník, qui vient d’être nommé commandant de la Garde. Personne n’y comprend rien, jusqu’à ce que Matyáš se dévoile enfin, et bénisse l’union des deux jeunes gens dans la liesse générale.
C’est ce finale heureux qui vous est proposé dans l’enregistrement qu’en a laissé Gerd Albrecht avec le choeur et l’orchestre de la Radio de Cologne, en n’oubliant pas de mentionner que l’ouverture vaut également largement le coup d’oreille !