Le 19 mars 2023, le site lyrique ODB Opéra organisait un gala-fleuve à l’occasion de ses 20 ans. En conclusion de notre recension, nous exprimions notre espoir de voir ce concert devenir un événement annuel. C’est presque le cas avec cette édition 2024, organisée 20 mois après la première, et pour laquelle ses organisateurs ont réuni une nouvelle fois réuni un large éventail d’artistes, jeunes et confirmés.
Héloïse Mas ouvre le bal avec la rare Sapho de Charles Gounod et Le Cid de Massenet. La voix sombre et sensuelle exprime à merveille la mélancolie de ses deux airs. Le périlleux « Parto, parto » d’Idomeneo est impeccablement rendu par Juliette Gauthier, qui se révèle délicatement espiègle dans la Cleopatra du rare Giulio Cesare d’Antonio Sartorio. Autre rareté avec Henry VIII, où le ténor Fabien Hyon alterne avec une grande justesse dramatique les élans forte et les abandons en voix mixte, dans un français à la prononciation impeccable. On ne présente plus le contre-ténor Robert Expert qui interprète « À Chloris » avec une grande sensibilité. Retour à Idomeneo avec un tour de force de Faustine Egiziano dans un « Padre, germani, addio! » d’un bel engagement et aux vocalises impeccables, suivi d’une scène de folie des Puritani dans une optique plutôt mozartienne. En baroqueuse consommée, Emmanuelle de Negri offre un « Tristes apprêts » idéal, d’une grande noblesse et d’un belle intensité. La mélodie de Debussy qui suit démontre la versatilité de cette artiste. Le jeune Julien Lhermite impressionne par un beau médium au volume puissant. Entre deux séances de Don Giovanni à l’Athénée, Abel Zamora offre un « Il mio Tesoro » au legato divin, suivi du rare air de Smith de La Jolie fille de Perth, avec toujours la même délicatesse, mais aussi la vaillance nécessaire et un contre-ut percutant ! En Escamillo et en Posa, Florent Karrer impressionne par son émission naturelle et sa projection puissante, alliées à un vrai talent dramatique. Il est rare d’entendre des voix wagnériennes dans ce type de concert. Notre plaisir est d’autant plus grand que Fanny Revay offre ici une belle et grande voix dans le rôle d’Elisabeth de Tannhaüser, avec un beau timbre chargé d’une émotion frémissante. Coline Infante fait montre d’un abattage certain dans l’air d’Adele de Die Fledermaus, réussissant impeccablement ses vocalises en cascades de rire et concluant avec un contre-ré d’une facilité déconcertante. Dans la chanson « Parce que », créé par Serge Gainsbourg, puis en seconde partie, dans sa reprise de « L’île aux mimosas » de Barbara, Isabelle Carrar ressuscite un instant pour nous l’esprit disparu de Saint-Germain-des-Prés. Également professeur au Conservatoires Hector Berlioz et Charles Munch, Marie Vasconi interprète avec grand talent un extrait de l’étonnante scène lyrique de Valentino Bucchi, Lettres de la religieuse portugaise (1970). La première partie s’achève par un « Don fatale » revigorant : avec son timbre fruité et son engagement sans faille, Victoria Lingbock n’y est pas sans rappeler une certaine Grace Bumbry, l’expérience en moins bien entendu.
Abandonnant un moment son rôle d’accompagnateur, David Abramovitz ouvre la seconde partie avec une barcarolle de Fauré très virtuose. Stéphanie d’Oustrac montre la diversité de son talent avec un émouvant Air des Lettres suivi d’une interprétation intelligemment retenue des Nuits d’une demoiselle, tube de Colette Renard d’une paillardise totalement assumée. Arnaud Kientz chante avec la virtuosité demandée, mais aussi avec une élégance dont on n’a pas nécessairement l’habitude dans ce répertoire, l’air bouffe de Don Magnifico dans La Cenerentola. Anne-Lise Polchlopek est une Eurydice intense mais révèle également ses talents dans la comédie, avec un extrait du Candide de Leonard Bernstein. Dotée d’une belle voix de mezzo aux graves profonds, Raluca Vallois affronte crânement les vocalises de la chanson du voile d’Eboli. Marlène Assayag défend avec brio le boléro des Vêpres siciliennes, sa voix corsée n’étant en rien un obstacle aux coloratures requises. Puis elle offre une belle exécution de l’air, également virtuose, de Giulietta dans les Contes d’Hoffmann, page réintégrée dans l’acte de Venise dans la version Kaye. Jeanne Zaepfel défend un rare extrait du Magnifique de Grétry, avec une belle maîtrise du style particulier de ce type d’opéra-comique, puis une délicate version de la Chanson de Maxence des Demoiselles de Rochefort. L’artiste-peintre Hanna Rees se frotte à Mozart. Émilien Marion met toute son énergie dans l’air de MacDuff du Macbeth de Giuseppe Verdi. Nadège Méden affronte le terrible « In questa reggia » de Turandot avec des aigus dardés impressionnants. Didier Chabardes chante avec élégance des mélodies de Mompou, de Falla et Obradors. Virtuosité, abattage, Marc Mauillon est tout bonnement épatant dans son air rossinien, avec une voix impeccablement projetée et une belle extension jusqu’au si bémol. Le chanteur sait aussi alléger sa voix avec un Clair de Lune de Fauré à la prononciation impeccable. Didier Chabardes et Stéphane Sénéchal réunis n’hésitent pas à en faire des tonnes dans l‘amusant Duo de la Chartreuse verte de Chabrier. Le ténor argentin Manuel Nuñez Camelino chante avec une grande sensibilité une mélodie de son pays natal avant d’offrir, dans un style très différent, un Puccini aux aigus percutants.
En 2016, Jean-Philippe Lafont fut victime d’un grave accident alors qu’il répétait le rôle du Sacristain dans Tosca à l’Opéra-Bastille. Il s’était hélas depuis retiré des scènes. Ce concert est l’occasion émouvante de le retrouver dans l’air de Gerard à l’acte III d’Andrea Chénier, scène qu’il introduit dramatiquement par une sorte de prélude muet où il fait ressortir toute la noirceur décomplexée du personnage. A 73 ans, la voix n’a bien sûr plus la fraîcheur du passé mais le timbre est inchangé, la puissance est toujours là, l’aigu est vaillant (jusqu’au fa dièse) et la composition dramatique impressionnante.
Animateur-présentateur et co-organisateur de la soirée avec Jérôme Pesqué, Stéphane Sénéchal vient alléger ce rythme musical soutenu par quelques intermèdes comiques (un peu à la manière de Harpo dans les films des Marx Brothers), parfois assisté (ou vocalement doublé par Marie Vasconi). Plus sérieusement, il nous offre une impeccable interprétation de la mélodie de Poulenc, « Tout disparut », avec une délicate maîtrise de la voix mixte, Cynthia Dariane l’accompagnant dans une chorégraphie de son cru.
Cinq pianistes se partagent le rôle difficile et un peu ingrat d’accompagnateur (et répétiteur). Chiho Miyamoto, Maxime Neyret, David Abramovitz, Denis Dubois et Genc Tukiçi participent largement à la réussite de ce concert-marathon (plus de quatre heures de musique) grâce à leur professionnalisme dévoué et attentif.
Enfin, les libres dons des spectateurs permettront de financer les repas de plusieurs orphelins sur une année complète : ce n’est pas la moindre réussite de ce concert dont on espère qu’il sera suivi d’un autre en 2025.