Ce devait être l’un des sommets de saison scaligère : un gala le jour même du centenaire de Giacomo Puccini réunissant entre autres Jonas Kaufmann et Anna Netrebko sous la direction de Riccardo Chailly. C’est en effet le 29 novembre 1924 que le compositeur toscan est mort d’un arrêt cardiaque à Bruxelles, alors qu’il suivait un nouveau traitement pour son cancer de la gorge. Le concert devait comprendre des pages essentiellement orchestrales et symphoniques en première partie, puis l’acte IV de Manon Lescaut.
Malheureusement, ce centenaire a coincidé avec un jour de grève nationale en Italie (on ne saurait tout prévoir…), mouvement auquel se sont joints les instrumentistes et choristes de la Scala, ce qui a entrainé l’annulation du concert. À 20h05, Dominique Meyer, le surintendant de la Scala s’est adressé au public : « Ce soir, j’ai une mauvaise nouvelle et une bonne. C’est la grève générale. Nous pensions disposer du personnel pour cette soirée mais, il y a 10 minutes, nous nous sommes rendu compte que nous ne pourrions donner le concert de ce soir. Il est donc annulé et vous serez remboursés (on laisse passer les cris, vociférations et huées). Si vous me laissez quelques minutes, la Scala va vous offrir une coupe de Bellavista (célèbre spumante) et la Scala va vous donner un autre concert. Nous respectons le droit de grève, mais nous avons choisi de donner également ce spectacle par respect pour le public qui, en plus, est aussi venu de loin ce soir, et également pour Puccini » (les propos exacts varient suivant les sources, mais c’est l’esprit général).
Tandis que les spectateurs trinquaient au foyer, les pupitres ont été enlevés pour laisser place à un piano. Anna Netrebko, Jonas Kaufmann, Mariangela Sicilia (initialement prévue pour un extrait d’Edgar en première partie), avec le renfort impromptu du ténor Luciano Ganci (décidément à la mode), ont ensuite interprété, accompagnés par James Vaughn, des extraits d’Edgar, Le Villi, La Bohème (fin de l’acte I et « Quando Me’n Vo », air de Musetta), Madama Butterfly, Manon Lescaut (l’acte IV), La Rondine, La Fanciulla del West, Gianni Schicchi, Turandot (« Nessun dorma »), et le programme s’est achevé avec le « E Lucean le stelle » de Tosca.
Il n’est pas sûr que le public y ait perdu au change. Giuseppe Puglisi, représentant de la CGIL (Confederazione Generale Italiana del Lavoro) a tenu à préciser : « Nous avions prévenu la direction depuis un moment que la grève aurait lieu (…). En ce qui concerne le récital avec piano, le concert a été annulé et les spectateurs remboursés. Après, ils font ce qu’ils veulent, on n’a rien contre. Muti l’a déjà fait ». En effet, le 2 juin 1995, face à une grève de l’orchestre, Riccardo Muti avait accompagné seul au piano une représentation scénique complète de La Traviata, avec Tiziana Fabbricini, Ramon Vargas et Juan Pons, le piano étant intégré aux décors.
De même, le 10 mars 2005 à l’Opéra de Paris, la représentation d’Otello étant donnée en version concert pour cause de grève, le directeur de l’époque, Gerard Mortier, avait remboursé les spectateurs et leur avait offert une coupe de Champagne, beau geste qui ne fut pas renouvelé lors des grèves suivantes, le budget de la maison n’étant pas extensible à l’infini.
Mise à jour du 2/12/2024 :
Monsieur Meyer a bien voulu nous apporter les précisions et rectifications suivantes et nous l’en remercions.
- Les choeurs et l’orchestre n’étaient pas tous en grève mais « il manquait des cordes graves et des basses dans les choeurs. Orchestre et choeurs étaient trop déséquilibrés pour interpréter dignement Puccini ».
M. Meyer n’a pas annulé plus tôt car il pensait « avoir une bonne chance de parvenir à réaliser le concert ». « Cela s’est produit à deux reprises cette année ».
Comme évoqué dans la brève, « nous avons tenu à offrir un concert gratuitement par respect pour le public (certains étaient en outre venus de loin), pour nos sponsors, ainsi que pour les artistes qui, faute de concert, n’auraient pu être rémunérés (s’agissant d’une grève nationale, l’annulation est considérée comme un cas de force majeure) ».
L’annonce n’a pas donné lieu à des manifestations générale de désapprobation du public : « Une personne a crié « « vergogna » . Il s’agissait d’un spectateur allemand, qui est venu se présenter, me disant qu’il entendait protester contre les grévistes qui, selon lui ne respectaient pas Puccini ».
Et de conclure « J’espère que ces précisions éclaireront quelques lanternes ! ».
Sources : https://tg24.sky.it/spettacolo/musica/2024/11/30/puccini-scala-sciopero https://www.ilgiorno.it/milano/cronaca/scala-sciopero-orchestrali-dhi3vucl?live https://milano.corriere.it/notizie/cronaca/24_novembre_29/clamoroso-alla-scala-cancellato-all-ultimo-momento-il-concerto-di-puccini-per-lo-sciopero-degli-orchestrali-e-il-teatro-ne-offre-un-altro-7787d98b-5da4-4425-8c45-be41352efxlk.shtml Message de M. Dominique Meyer à Forumopera.com