Quel est donc le secret du succès d’Offenbach ? Christophe Barbier, que l’on connaît comme chroniqueur politique à l’écharpe rouge sur les petits écrans, mais qui mène également une sympathique carrière d’auteur et d’acteur, prend pour base cette question et s’applique à y répondre. L’argument est au demeurant simple, mais efficace : l’action se situe au moment de l’Exposition Universelle de 1867 qui a vu défiler à Paris, à partir du 1er avril, tout ce que le monde comptait de têtes couronnées. Et bien sûr, le programme de séjour de toutes les personnalités comportait immanquablement une soirée pour voir au théâtre du Palais Royal La Vie Parisienne, qui en est déjà le 19 mai à sa 200e représentation, et une autre à partir du 12 avril pour assister au théâtre des Variétés à La Grande duchesse de Gerolstein. Deux des plus grands succès d’Offenbach, où brillaient notamment Zulma Bouffar dans le rôle de Gabrielle la gantière, et Hortense Schneider dans celui de la Grande duchesse.
C’est dire combien le Tout Paris ne parle que de ces œuvres qui font courir les foules. C’est alors que le ministre de l’Intérieur demande à Jacques Offenbach de préparer au Café Anglais un concert composé de ses meilleures œuvres. Et ce concert, destiné à « trois empereurs » (je vous laisse deviner lesquels), aurait lieu le jour même, le 7 juin 1867. C’est peu de dire que notre compositeur est tout particulièrement stressé et énervé. Il décide alors d’appeler Hortense Schneider à la rescousse, et ce sera bien évidemment l’occasion pour les deux protagonistes de s’envoyer des piques et de se rappeler quelques bons et moins bons souvenirs. D’autant qu’un pianiste à la fois bien mystérieux et entreprenant est venu les rejoindre.
Les programmes faits de morceaux choisis (par les autres), ces « soirées – ou dîners – chez Monsieur Offenbach » sont souvent calamiteux. Mais là, il faut convenir que le résultat force l’admiration. L’argument est bien ficelé, et sa simplicité même amène sans difficulté les airs les plus variés, mêlant des « tubes » (« Je suis veuve d’un colonel », « Ah quel dîner je viens de faire », etc.), des œuvres moins connues (air de Reinette du Violoneux) et même celles de deux autres compositeurs (Daniel-François-Esprit Auber, air d’Angèle au troisième acte du Domino noir, et Charles Lecocq avec la balade de Gabrielle au deuxième acte des Cent vierges). Habile montage qui permet à chaque spectateur de trouver midi à sa porte. Évidemment, tout amateur d’Offenbach va tout de suite remarquer en prenant connaissance de la liste des airs chantés que La Périchole et Pomme d’Api, de même que Les Cent vierges de Lecocq, datent d’après le 7 juin 1867… mais après tout qu’importe. Appelons cela « du futur narratif ».
Tout comme Offenbach lui-même fut longtemps forcé de ne faire que des œuvres en un acte et à trois personnages, le spectacle de ce soir réunit Offenbach, narrateur et acteur, Hortense Schneider que l’on ne présente plus, et un pianiste « à tout faire ». Les trois comédiens sont épatants, à commencer par Christophe Barbier. Son Offenbach est tout à fait convaincant, et il déride la salle avec efficacité, ajoutant deux tours de valse avec des spectatrices, entraînant toute la salle à envoyer les baisers du Cupidon d’Orphée aux Enfers, et chantant même quelques mesures. Il faut dire qu’il est parfaitement entouré, car Pauline Courtin – avec qui sa complicité est bien évidemment totale – est aussi une excellente comédienne, piquante et vive, pleine d’entrain, qui brûle vraiment les planches. Mais le troisième larron a également un rôle important à jouer, et Vadim Sher se révèle aussi bon pianiste, chanteur que comédien.
Pauline Courtin est donc Hortense Schneider. On ne va pas reprendre tous les rôles qu’a chanté la grande Hortense, mais il est certain qu’elle n’avait pas la voix de Gabrielle la gantière, créée par Zulma Bouffar, une des égéries d’Offenbach. Et si en fait tout s’enchaîne de façon agréable, c’est vrai que certains airs ne sont pas tout à fait pour la voix de Pauline Courtin. Mais là aussi qu’importe, tant le résultat est plaisant, avec une mention spéciale pour Eurydice, un rôle qu’elle a beaucoup chanté il y a une quinzaine d’années y compris au festival d’Aix en Provence. Vocalement parlant, le style d’Offenbach est bien rendu, et la cantatrice adapte parfaitement son émission sonore à l’espace du Poche Montparnasse, au demeurant petit.
Au total, on passe vraiment un excellent moment, une heure et demi qui se déroule sans temps mort et dans la gaité, bref le spectacle familial idéal pour la période des fêtes de fin d’année.