Après un travail encyclopédique consacré à Régine Crespin, Jérôme Pesqué nous propose cette fois une étude particulièrement fouillée consacrée aux théâtres lyriques dans l’espace francophone européen, c’est-à-dire en France métropolitaine, mais aussi en Belgique francophone, en Suisse romande et en Principauté de Monaco. L’étude embrasse par ailleurs un intervalle de temps particulièrement large, de 1880 à 2024. L’ouvrage se compose d’une cinquantaine de chapitres. Certains sont consacrés à un théâtre précis (par exemple, à l’Athénée pour Paris), d’autres à une ville (Lille, Nantes…), d’autres à une aire géographique (Nîmes et le Gard, Dijon et la Bourgogne…). Chaque entrée comprend une présentation détaillée de l’activité lyrique concernée, puis les grandes dates de celles-ci et une bibliographie. En cas d’absence d’archives en ligne, l’ouvrage donne l’accès à de précieuses informations non disponibles par ailleurs (que le Théâtre de Nîmes, qui a brulé, ne dispose pas d’archives, c’est une chose : mais le Châtelet ou le Théâtre de l’Athénée ?). Pour Favart (par exemple), on est heureux de disposer des informations essentielles de manière claire, concentrées en un même point, ce qui dispense de risquer la dépression nerveuse en faisant des recherches sur le site Dezède (1), pour au mieux disposer de l’information des programmes de salle… avant les éventuelles changements de distribution. Même remarque quant au Théâtre des Champs-Elysées où il semble que des boites complètes de programmes aient échappé à la numérisation : par exemple, la tournée du Mariinski en novembre 1997 (qui vit les débuts d’une certaine Anna Netrebko dans Boris Godounov de Modest Moussorgski (Xenia) et dans Les Fiançailles au Couvent de Sergei Prokofiev (Louisa)) n’apparait pas dans les archives du théâtre (il y a quelques années, nous avions signalé ces omissions aux administrateurs : sans que cela ne les trouble outre mesure semble-t-il, puisque les oublis n’ont pas été comblés au moment où nous écrivons ces lignes). En revanche, cette tournée n’a pas résisté à la vigilance de l’auteur.
L’étude permet à chacun de faire un certain nombre d’observations, pour une fois basés sur des faits et non sur des impressions. A titre d’exemple, on constate, en dehors des capitales ou des très grandes métropoles (Paris, Genève, Monaco…), une diminution rapide et importante de la diffusion du genre dans cet espace francophone. D’un côté, le répertoire s’internationalise (élargissement du nombre de titres, utilisation de la langue dans laquelle les ouvrages ont été écrits), le rôle du metteur en scène prend de plus en plus d’importance, les grandes stars françaises se raréfient sans être remplacées toutefois par leurs équivalents internationaux. Le panorama donne un peu le vertige tant le déclin semble inéluctable et, malheureusement, assumé dans la mesure où l’art lyrique dépend des subventions comme on a pu le constater lors de changements de majorité municipales (lire à ce sujet 70 ans d’histoire(s) d’Opéra, entretiens avec Raymond Duffaut réalisés par Julie Daramond).
L’auteur résume cette évolution dans un passionnant avant-propos évoquant entre autres, et outre les évolutions déjà évoquées, la chute constante du nombre de levers de rideaux, la féminisation des postes à responsabilité, ou encore la croissance de l’âge moyen et la problématique de renouvellement du public. Un ouvrage indispensable pour accéder facilement à un historique dans l’Europe francophone, mais aussi pour éclairer la situation de l’art lyrique, et donc son devenir, en se basant sur des faits et non sur des présupposés.
(1) Le nom Dezède vient probablement de celui du compositeur français Nicolas Dezède, né de parents inconnus (il faut donc comprendre : « de Z... ») ; le nom était aussi orthographié De Zède, Dezèdes, Desaide, Dezaides, Desaides, Des Aides, De Zaides, D’hézeide, voire D.Z. Ça n'a pas grand chose à voir avec notre sujet, je vous le concède.