En premier lieu la musique, comme le suggère le titre de ton exposition* – « Prima la musica » – puis l’image, ou l’inverse ?
Une image parle avant tout d’elle-même. Vous arrivez dans une galerie, une exposition ou un musée et elle vous happe immédiatement. Une force intérieure vous entraine vers elle, elle vous attrape, vous voilà saisi au vol. Il en est de même avec la musique, quand vous découvrez un morceau qui vous colle à la peau soudainement. Il s’agit pourtant de deux sens humains radicalement différents : la vue et l’ouïe. Pour cette exposition « Prima la musica », j’ai voulu les associer ensemble car chaque photo a son propre morceau de musique à retrouver dans une playlist spécialement conçue pour l’occasion. Une exposition interactive conçue comme une symphonie imaginaire, une plongée dans l’intimité des artistes, des coulisses et du théâtre de la vie.
Comment es-tu devenu photographe ?
Par le hasard de la vie, ou ce que j’appelle plus particulièrement la providence (sans majuscule). Étymologiquement, ce mot a tout son sens en photographie car il provient du latin providentia, à savoir la prévision, la prévoyance, du préfixe pro (devant) et du verbe videre (qui provient du verbe video donc voir). Une photo est prise à l’instant présent, fait déjà partie du passé et va continuer à vivre dans le futur où elle sera découverte, exposée. Je suis devenu véritablement photographe le jour où j’ai croisé le chemin du chef d’orchestre Jean-Christophe Spinosi et du directeur délégué de l’Ensemble Matheus Jean-Christophe Cassagnes en 2011. Ils m’ont mis un appareil photo entre les mains car je m’occupais de la communication de l’Ensemble. Il ne m’a jamais quitté des mains depuis.
Faut-il aimer l’opéra pour photographier les chanteurs ?
Il faut avant tout être curieux et s’intéresser aux autres, et s’oublier. Tout est une question de confiance avec les personnes que vous rencontrez et que vous voulez photographier. Il est naturellement impossible de photographier « une voix ». Un chanteur d’opéra par exemple devient un personnage aussitôt qu’il arrive sur scène. Mais qui est-il vraiment et qu’a-t-il à nous dire en dehors du chant ? Ce sont ces moments que j’aime capturer par-dessus tout, ceux où les artistes, peu importent leurs disciplines, tombent le masque et se retrouvent en pleine réflexion, interrogation ou préparation mentale et physique. Non pas l’instant décisif mais l’instant magique en l’occurrence.
© Edouard Brane
Ta photo de Michael Spyres a été inspirée par un tableau de Courbet. Comment t’est venu cette idée ?
La photo fait référence au tableau « Le désespéré » de Gustave Courbet mais ce n’était absolument pas voulu. Il ne s’agit pas d’un moment posé, ce n’est pas un vrai portrait comme on l’imagine. Michael Spyres venait tout juste de terminer l’enregistrement de son album Baritenor. Il n’en revenait pas d’avoir réussi à venir à bout de ce projet discographique. J’étais alors sur un praticable surélevé et Michael s’approche de moi pour me mon montrer la liste des airs enregistrés. Il s’est pris la tête entre les mains et j’ai pris la photo. La peinture influence en revanche beaucoup mon travail et j’ai besoin que le spectateur puisse pénétrer dans une photo comme dans une peinture. Il faut qu’il y ait de la matière, de la transpiration, que l’on sente le souffle et la respiration du ou des modèles.
Tu sembles aussi aimer l’atmosphère des répétitions…
C’est un endroit indescriptible, rempli de magie et de mystère. Pouvoir être derrière le rideau est un privilège énorme. Je ne viens pas d’une famille d’artiste et je ne suis pas musicien. Voir ces immenses artistes travailler, se préparer, rentrer sur scène est une chance inouïe. Et pouvoir les rencontrer et discuter pendant des heures de leurs vies, encore plus.
Tu as photographié des amateurs d’opéra chez eux, entourés d’objets familiers. Quel effet recherchais-tu ?
L’exposition se termine avec une installation vidéo que j’ai intitulée « Prima le parole… poi la musica ». Je suis parti à la rencontre de douze passionnés d’opéra qui m’ont invité chez eux le temps d’un portrait photo et d’une vidéo interactive. Le processus est simple : un portait est réalisé chez eux où le modèle pose assis avec son objet fétiche lié à l’opéra. Je leur demande ensuite de se lever pour écouter avec des écouteurs leur air d’opéra préféré les yeux fermés. Une discussion s’ensuit pour comprendre pourquoi cet air les transporte autant. Chacun se livre alors à la confession, ce qui permet de rentrer dans leur intimité. Dans l’installation, le spectateur découvre les douze portraits photos accrochés au mur. Libre à lui de découvrir les vidéos qui commencent d’abord par la confession, puis par la séance d’écoute. Une manière ludique de (re)découvrir l’opéra.
S’il te fallait choisir une seule de tes photos parmi celles exposées, quelle serait-elle ?
A vous de me le dire !
* 15 rue Guénégaud, 75006 Paris. Samedi / Dimanche : 12h-20h ; Lundi : 11h-15h