Un nombre croissant de groupes français montent des spectacles lyriques, avec des motivations diverses, mais le plus souvent avec une très haute qualité. Cela va de la pure distraction, mêlant amateurs de talent à des professionnels aguerris, ou encore – et c’est bien sûr à encourager – des conservatoires qui font monter leurs classes lyriques sur les planches. La France a accumulé un certain retard dans ce domaine, mais à voir les résultats de ces dernières années, on ne peut qu’applaudir.
Ce soir, le spectacle est réalisé par le département supérieur pour jeunes chanteurs du Conservatoire Ida Rubinstein (CRR, conservatoire à rayonnement régional de Paris). C’est le troisième spectacle monté par ce conservatoire, après La Chauve-Souris et La Veuve Joyeuse, accompagnés par l’orchestre Colonne dans la salle du même nom. Le choix d’Offenbach est judicieux, et en l’occurrence celui de La Vie parisienne, car cette œuvre offre une large palette de rôles avec tout un éventail de voix, ainsi que la présence de chœurs qui doivent de plus jouer efficacement. La version de 1873 en quatre actes choisie ce soir est bien équilibrée, et entraîne la salle dans un irrésistible tourbillon.
Mais cette œuvre n’est pas non plus sans embûches, puisque la partie de texte parlé est importante et fondamentale dans l’action. Et là, on ne sait ce que l’on doit le plus louer, car tous les textes sont excellemment articulés, et surtout « parlés juste » avec des « voix de théâtre », ce que l’on a souvent bien du mal à obtenir de chanteurs confirmés. Peut-être d’infimes « blancs » seraient-ils encore à resserrer, mais c’est la première, et tout cela va se roder, le résultat est déjà tout à fait excellent.
Et cerise sur le gâteau, le jeu scénique colle parfaitement à l’action, et tous les interprètes, pleins d’énergie et d’enthousiasme, sont parfaitement canalisés. La mise en scène de Florence Guignolet est vive et enlevée, qui entraîne tout son monde dans le tourbillon de cette vie parisienne quand même un peu fantasmée. L’utilisation de fonds de scènes en vidéo ou photos permet une grande fluidité de la représentation. Bien sûr, les interprètes sont tous très jeunes, et n’ont pour la plupart pas l’âge de leurs rôles, mais ils ont déjà l’intelligence de la scène, ils en jouent aussi, et le résultat est étonnant. D’autant que, du côté vocal, les voix sont de très bon niveau, parfaitement choisies par rapport aux rôles, et remarquablement préparées par les chefs de chant, avec une prononciation parfaite. Toutes passent très facilement l’orchestre dans cette salle des années trente sans fosse, et à la bonne acoustique.
Les deux compères Bobinet et Raoul (Paul Germanaz et Ulysse Timoteo) jouent fort bien les joyeux lurons qui chassent sur les mêmes terres, en entraînant tout leur monde aux pires folies. Mathilde Marin est une Metella très crédible, et chante fort bien ses trois airs. Le baron et la baronne de Gondremarck (Alexandre Munsch et Héloïse Venayre) sont très drôles. Le Brésilien de Nolo Calage est vigoureusement campé, et la Pauline d’Anaïs Carde très réussie. Eve Nikolaidis est une Gabrielle/Madame de Sainte Amarante épatante, accompagnée du Frick de Félix Orthmann Reichenbach non moins réussi. Tout le reste de la troupe est de même niveau, y compris le protéiforme Jules Jovignot (Joseph et Caroline/La Marquise de la Butte-Jonvel).
L’orchestre, sous la baguette de Pierre-Louis de Laporte, est parfait de légèreté, d’allant et de suivi, avec de très jolies sonorités, rattrapant comme il se doit les deux ou trois infimes décalages des excellents chœurs trop pris par l’action. Un spectacle comme on les aime, sain, vif, entraînant, même si l’on n’a pas forcément apprécié le démarrage hurlé en forme de manifestation de grévistes CGT des chemins de fer de l’Ouest (devenus SNCF et gare Saint-Lazare)… Sans doute celui-ci avait-il une vocation pédagogique pour aider toute la troupe à entrer dans l’œuvre sur les chapeaux de roues ? Ne manquez pas ce spectacle réjouissant, respectueux de la forme comme de l’esprit.
Prochaines représentations (deux distributions en alternance) : salle Colonne mardi 14 et mercredi 15 janvier 2025 à 20 h, et au Théâtre de Rungis le vendredi 24 janvier à 20 h.