Nous l’attendions avec impatience, le nouveau spectacle de la Compagnie Fortunio qui, depuis plus de dix ans, nous régale chaque année en ressuscitant une opérette qui a eu son heure de gloire en son temps avant de tomber dans l’oubli à mesure que le genre passait de mode, ce qui nous a valu de véritables pépites comme Là-haut ! de Maurice Yvain, Gillette de Narbonne d’Audran ou la récente Botte secrète de Terrasse. Cette année Geoffroy Bertran et sa troupe se sont lancés dans un projet plus ambitieux, en l’occurrence Joséphine vendue par ses sœurs, un véritable opéra-comique en trois actes, défendu par treize solistes qui se répartissent la vingtaine de personnages que comporte l’ouvrage.
Né en 1853, Victor Roger a connu une popularité notable à la fin du dix-neuvième siècle grâce à ses ballets ses chansons et ses opérettes parmi lesquelles, Les vingt-huit Jours de Clairette, son plus grand triomphe, en 1892. Quelques années plus tôt, en 1886, Joséphine vendue par ses sœurs fut son premier vrai succès. Le livret est une parodie de l’opéra Joseph et ses frères de Méhul, lui-même inspiré de la Genèse. L’héroïne, Joséphine, rêve de devenir chanteuse lyrique et pour cela fréquente le conservatoire en compagnie de Montosol, un jeune baryton dont elle est éprise. Objet de toutes les attentions de sa mère, concierge de son état, Joséphine suscite la jalousie de ses sœurs qui ourdissent une machination afin de la pousser à accepter la proposition d’Alfred Pacha qui, désireux de la conquérir, souhaite l’engager à l’Opéra du Caire. Le deuxième acte se situe à la cour du Pacha dont Joséphine refuse les avances. Sa famille la rejoint bientôt en Egypte, ainsi que Montosol. A la suite de diverses péripéties, le plus souvent hilarantes, tout le monde se retrouve à la fin à Paris pour célébrer le dénouement heureux. La musique alerte et vive, aligne des airs, des duos et des ensembles à un rythme soutenu, ponctués par des dialogues savoureux. On y perçoit quelques réminiscences musicales, ici un ensemble de La Fille du régiment, là un air de La Favorite, ainsi qu’une parodie du texte de l’air de Mignon qui devient « Connais-tu le pays où fleurit L’Ptit Journal » (quotidien dans lequel écrivait Victor Roger).
Geoffroy Bertran a effectué une retranscription ingénieuse de la partition afin de l’adapter aux effectifs de sa troupe et de concentrer l’action sur un nombre moins important de personnages. De plus, cette année, en plus du piano, une flûte vient enrichir notablement l’accompagnement musical.
L’intrigue est transposée dans les années 50. La loge de la mère Jacob avec ses murs jaunes, son carrelage et sa nappe à carreaux rouges et blancs est typique de cette époque. Le Palais d’Alfred Pacha est astucieusement évoqué par une toile de fond qui représente une porte orientale s’ouvrant sur des pyramides et un palmier. Au premier plan, une salle décorée de tentures aux murs et de tapis au sol, où trône une méridienne bleue. La mise en scène épouse avec habileté le rythme soutenu de l’action tout au long de la représentation et les chorégraphies subtiles d’Estelle Danière ajoutent une touche de fantaisie au spectacle qui n’en manque pas.
La distribution, d’une bonne humeur communicative, n’appelle que des éloges jusque dans les plus petits rôles : Marina Ruiz, que l’on a déjà applaudie dans Gillette de Narbonne et La Botte secrète est une Joséphine énergique à la voix sonore et au timbre délicatement ambré. Dorothée Thivet est une Mère Jacob truculente à souhait, dotée d’une vis comica réjouissante, notamment dans ses savoureuses répliques parlées, et servie par une voix solide et bien projetée. Son esquisse de danse du ventre au début du troisième acte est particulièrement irrésistible. Lou Benzoni Grosset est une délicieuse Benjamine, déterminée à conquérir le cœur de Putiphar, neveu grognon d’Alfred Pacha. Son aisance sur le plateau et sa fraîcheur vocale captent durablement l’attention. Putiphar est campé par Xavier Meyrand, ténor à la voix haut perchée et grand habitué de la troupe depuis sa création, qui excelle à incarner ce personnage bougon dont les mimiques sont particulièrement hilarantes. Doté d’une voix chaude qui en impose, Brice Poulot Derache, joyeux égoutier dans La Botte secrète l’an passé, incarne ici avec un sens aigu du second degré ce personnage d’amoureux éconduit, imitation burlesque du Pacha Selim de L’Enlèvement au sérail. Enfin, Geoffroy Bertran, grand maître d’œuvre de ce spectacle revigorant, campe avec sa classe habituelle et son irréprochable legato, un Montosol de bon aloi au timbre suave. Saluons également, l’excellente prestation des sœurs de Joséphine, dont les ensembles, parfaitement en place sont particulièrement jubilatoires.
Comme à l’accoutumée, l’excellent Romain Vaille, propose un accompagnement au piano tonique et sans faille secondé par la flûte imaginative de Gaëlle Amice.