Quelques jours après un autre ensemble baroque, c’est au tour des Accents et de leur chef Thibaut Noally de fêter leurs 10 ans. La gâteau d’anniversaire semblait bien peu appétissant sur le site internet de la Salle Gaveau (un sempiternel Stabat Mater et des airs et duos de Haendel et Hasse non détaillés), heureusement on peut compter sur la curiosité infatigable du chef pour nous proposer une seconde partie à la hauteur de ces 10 années, en faisant rejoindre les deux chanteurs initialement annoncés par des amis de renom.
La soirée débute donc avec un Stabat Mater de Pergolesi que l’on a trouvé peu inspiré, l’orchestre se chauffe, est très professionnel, s’interdit tout brillant naturellement dans une telle œuvre (à l’exception du très dynamique « Fac ut ardeat ») mais manque aussi de chaleur et d’épaisseur. Max Emanuel Cenčić est au diapason, soignant l’émission, la profondeur des graves (superbe « Eja Mater ») et la beauté du son (« Fac ut portem ») en accord avec la contrition imposée par le sujet. Julia Lezhneva, elle, témoigne de moins de respect face au sacré et choisit un expressionisme virtuose un peu hors de propos. Il lui faut les phrases (magnifiquement) suspendues de « Quis est homo » et « Vidit suum » ou le canon du « Quando corpus » pour trouver une inspiration plus adéquate et éviter de lancer des forte trop puissants.
Après l’entracte, la fête commence vraiment et nos artistes semblent transformés par un répertoire plus indiqué pour une telle célébration. Débarrassé de son pupitre, Cenčić expose une virtuosité caressante, un style souverain, une sensibilité frémissante et une finesse infinie dans le délicieux aria de Porpora. Avec l’air de Flavio (rôle qu’il a récemment interprété à Bayreuth), le chanteur continue d’étonner par la largeur de l’ambitus, la longueur du souffle, et la capacité à rendre chaque phrase dramatique malgré la vitesse d’exécution.
Carlo Vistoli jouit toujours d’un medium riche et de graves soignés, le technicien est très doué et l’acteur bien vivant (il en perds son nœud papillon !), mais nous continuons de trouver son jeu trop extérieur et ses vocalises heurtées. L’oiseau du « Se in fiorito » gagnerait à plus de délicatesse, même si l’air se prête bien à un show extraverti. Il est plus mesuré dans le duo de Rodelinda qu’il conclut d’une très belle cadence, intense sans être outrancière, tandis que Julia Lezhneva manque une fois encore de retenue.
Vivica Genaux entre doucement avec un duo de Vivaldi pas inoubliable, mais qui a le mérite de faire dialoguer deux voix de contralto, plaisir rare. Elle enchaine par un toujours stupéfiant « Come in vano », guère ménagée par un orchestre surexcité : n’était quelques respirations mal placées et une ou deux croches ratées (il y en a tant, on serait bien injuste de lui en tenir rigueur !), son interprétation soulève autant l’enthousiasme que lorsqu’elle enregistrait l’air il y a 16 ans. De plus sa technique si spéciale offre en salle au martellement ultra-rapide de ses notes une résonance que le disque aplanissait.
Anthea Pichanik donne une sobre mort de Tolomeo très incarnée, misant sur l’intelligence de la partition, une théâtralité noble et la riche étoffe de son timbre pour émouvoir. On regrettera simplement que l’entropie de l’air n’ait pas été davantage soulignée au da capo qui n’apporte que peu de variations.
Il revient à Julia Lezhneva de clore le concert avec un délirant « Aura beata » de Hasse, enregistré avec ce même ensemble il y a quelques mois. Et en live aussi la frénésie s’empare de l’auditeur emporté par l’hédonisme vocal d’un ange à la joie tellement puissante qu’elle en est presqu’effrayante et dont les vocalises semblent un nouveau langage, notamment dans une cadence d’un autre monde.