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WAGNER, Le Crépuscule des dieux – Bruxelles

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Spectacle
7 février 2025
Wagner en Grimm

Note ForumOpera.com

5

Infos sur l’œuvre

Richard Wagner (1813-1883), Le Crépuscule des dieux, troisième journée du festival scénique L’anneau du Nibelung, sur un livret du compositeur, créé au Festspielhaus de Bayreuth le 17 août 1876

Détails

Mise en scène
Pierre Audi

Décors
Michael Simon

Eclairages
Valerio Tiberi

Costumes
Petra Reinhardt

 

Siegfried
Bryan Register

Brünnhilde
Ingela Brimberg

Gunther
Andrew Foster-Williams

Gutrune
Anett Fritsch

Hagen
Ain Anger

Alberich
Scott Hendricks

Waltraute
Nora Gubisch

Première Norne
Marvic Monreal

Deuxième Norme
Iris Van Wijnen

Troisième Norne
Katie Lowe

Woglinde
Tamara Banjesevic

Wellgunde
Jelena Kordic


Flosshilde
Christel Loetzsch

 

Chœur de la Monnaie
Orchestre symphonique de La Monnaie

Direction musicale
Alain Altinoglu

 

Bruxelles, Théâtre royal de La Monnaie, 4 février 2025, 16h

La Tétralogie proposée par La Monnaie de Bruxelles a beaucoup fait parler d’elle. Par ses choix très audacieux certes, mais surtout par l’abandon en rase campagne du metteur en scène, Romeo Castellucci, qui a jeté l’éponge après La Walkyrie. Les raisons invoquées sont passablement obscures, et continueront sans doute d’alimenter les conversations lors des dîners en ville les cinq prochaines années. Et il a fallu trouver en catastrophe un nouveau metteur en scène. C’est finalement Pierre Audi qui a été choisi, sachant qu’il ferait le choix d’ignorer le travail de Castellucci sur les précédents volets. Après un Siegfried très réussi, surtout compte tenu des délais impartis, l’impatience était palpable dans la grande salle de La Monnaie ce mardi soir. Comment Pierre Audi allait-il donner vie à cette ultime journée, où l’action est si enchevêtrée ? Une fois de plus, l’homme de théâtre libanais s’en sort avec les honneurs, grâce à deux lignes directrices : stylisation et fidélité. Fidélité à une histoire que Pierre Audi décide de raconter dans sa littéralité. Il ne manque vraiment que le fil des Nornes et le cheval. Pour le reste, tout est conté avec une application stricte des didascalies de Wagner : Siegfried est un héros sans peur, Brünnhilde une Walkyrie déchue, les Gibichungen sont des ambitieux (incestueux, mais cela est devenu un classique), Hagen un monstre de haine et les Filles du Rhin des aguicheuses qui voient loin dans l’avenir. Comme la direction d’acteurs est en plus admirable de précision, et que les chanteurs jouent leur rôle avec conviction, on se glisse avec facilité dans l’histoire. Surtout que Pierre Audi est bien trop fin pour tomber dans le piège d’un premier degré simpliste, type peau de bête et décors en carton-pâte.

La stylisation est le deuxième axe de son travail. Des figures géométriques, quelques accessoires, des costumes intemporels, des éclairages sublimes, et voilà un théâtre qui évoque irrésistiblement le peu que nous connaissons des mises en scène de Wieland Wagner. Audi, en conférence de presse, revendique d’être un homme de la narration. Mais certaines images de son spectacle se gravent pour longtemps dans la mémoire : les trois nornes en vers à soie couleur cuivre, le dialogue cauchemardesque entre Hagen et Alberich, entre veille et sommeil,  les robes des filles du Rhin comme couvertes par les vagues, le récit de jeunesse de Siegfried, symphonie de noir et de blanc … Légère déception pour les dernières minutes du finale, où les talents visuels de Pierre Audi auraient pu aller plus franchement dans le spectaculaire, avec un incendie du Walhalla qui reste un peu sage. Mais on apprécie le retour des Filles du Rhin, sacrifié dans tant d’autres mises en scène. Certaines belles âmes ont déploré lors des entractes l’absence de « déconstruction », de « distance critique ». Ces concepts ont leur place dans l’opéra contemporain, mais voir de temps à autre un Crépuscule des Dieux aussi naïvement beau que celui-ci est une jouvence.

© Monika Rittershaus

Cette forme de «tradition revivifiée» trouve un écho dans la direction d’Alain Altinoglu. Sous la baguette du directeur musical de la maison, l’Orchestre symphonique de La Monnaie sonne avec une densité, un soyeux, un fondu qui rappellent le meilleur de la tradition bayreuthienne. Que de fils entrelacés, quelle texture riche, quelle fusion dans les timbres ! Il faudrait des pages entières pour détailler ce que les instrumentistes de La Monnaie offrent à leur chef et aux auditeurs, en termes de précision et de chaleur. On se contentera de mentionner la clarinette basse, promue par son talent et sa netteté au rang de protagoniste du drame. Mais le maestro ne se laisse jamais enivrer par les splendeurs sonores de son orchestre. Il est constamment à l’écoute de ce qui se passe sur scène. Le début du prologue en est un excellent exemple, à mettre en regard avec la première scène de l’acte III. Confronté à des Nornes qui se révèlent excellentes diseuses mais un peu avares en puissance (Marvic Monreal, Iris Van Wijnen, Katie Lowe), Altinoglu retient ses chevaux et contient son formidable volcan orchestral dans des limites qui permettent au texte de « passer », créant une atmosphère de poésie lunaire. Face à des Filles du Rhin qui elles sont dans un festival de jouissance vocale (Tamara Banjesevic, Jelena Kordic, Christel Loetzsch), il déchaîne toutes les ressources de sa phalange. La beauté du Rhin ruisselle via les cors, les clarinettes, les harpes, les contrebasses. Un sentiment de panthéisme, de communion avec la nature envahit alors le spectateur. Cette interaction permanente entre les capacités de la fosse et celles de la scène est la signature des grands chefs d’opéra.

Une même osmose entre la baguette et le chant entoure les prestations de Siegfried et Brünnhilde. Bryan Register a foison d’idées nouvelles sur la façon de chanter son rôle. Grâce à son timbre d’une souplesse couleuvrine, il accentue le côté lyrique du personnage, et le récit de sa jeunesse au III est un enchantement : cette voix a quelque chose d’attendri et de séduisant, et son mimétisme avec l’oiseau qu’il cite est bluffant. Mais ce ne sera pas faire injure à ce magnifique artiste de dire qu’il n’a pas l’ampleur d’un Wolfgang Windgassen ou d’un Max Lorenz, et que, partout où volume et métal sont nécessaires, cela sonne un peu court. Heureusement, le maestro veille comme une bonne fée, et il entoure ce timbre d’un halo de douceur, de rêve et de beauté. Tout « passe » alors sans problème. Le problème est différent avec Ingela Brimberg. Sans être l’égal d’une Birgit Nilsson ou d’une Nina Stemme, la soprano déploie un volume appréciable et parvient à projeter sa voix avec une belle adresse, ce qui permet notamment de faire comprendre le texte. Et, comme pour Siegfried, elle met remarquablement en valeur le côté élégiaque de sa partie, notamment dans les passages où elle évoque son amour. Mais cette prise de rôle (pour la Brünnhilde du Crépuscule) reste périlleuse, surtout qu’elle chante aussi dans le Tristan und Isolde mis en scène à Liège en ce moment. Le corps humain ayant ses limites, elle arrive épuisée à son immolation. Qu’à cela ne tienne, l’artiste va déployer toute une série d’artifices pour camoufler ses difficultés, aidée par un chef qui sait exactement doser ses effets pour venir en aide à sa chanteuse.

En Hagen, Ain Anger propose une conception plus classique du chant wagnérien : un timbre noir, charbonneux, une puissance presque jamais prise en défaut, sauf dans son «Hojotoho» du II, mais rétablie avec quelle maestria après un très court passage à vide. Comme le chanteur a en plus la silouhette parfaite pour le méchant manipulateur, l’incarnation atteint à une sorte de perfection. Il faut le voir arpenter la scène, presque en permanence, pétrifier les autres d’un simple regard, s’emparer de sa lance pour les usages les plus divers, pour réaliser que, plus que jamais, Hagen est le personnage le plus important du Crépuscule. Les Gibichungen sont eux aussi de la meilleure eau. Difficile d’imaginer plus veule et lâche que le fantôche incarné par Andrew Foster-Williams. Son look clinquant entre en résonance avec un style de chant volontairement sophistiqué, qui contraste parfaitement avec les sorties abruptes de Hagen. Et il parvient à exister lors du trio qui clôt l’acte II, ce qui est toujours une gageure. La Gutrune d’Anett Fritsch est un enchantement : son timbre est comme un jaillisement d’eau pure, à l’image de son leitmotiv. Sa diction et sa façon de chanter pour toute la salle, jusqu’au dernier rang du quatrième balcon, annoncent une interprète wagnérienne dont il faudra retenir le nom. La Waltraute de Nora Gubisch révèle, comme toujours, un tempérament passionné et un engagement sans réserve.  Si son récit glace le sang dans les moments de désolation et dans les graves, il faut reconnaître que les moyens font défaut dès que on passe au-delà du mezzo forte. L’Alberich de Scott Hendricks a semblé un peu boudé par le public au moment des saluts. A cause d’une petite faute de texte au début de sa scène ? C’est bien injuste, parce que le baryton a bien des choses à dire dans ce rôle, à commencer par un pouvoir d’insinuation et un timbre « visqueux » qui l’assimile à une vipère. La note du programme prétend mettre en valeur son côté humain, mais voilà bien un personnage que l’on adore détester. Les chœurs de La Monnaie prennent beaucoup de plaisir à occuper la scène, même si les mouvements de chorégraphie ne sont pas encore tout à fait au point, et que la polyphonie les amène parfois à se prendre les pieds dans le tapis. La présence et l’ardeur sont cependant là, et toute la seconde partie de l’acte II est électrisée par leur contribution.

Aucune représentation du Crépuscule des dieux ne peut prétendre à la perfection. Le nombre de facteurs qui interviennent est trop élevé. Wagner lui-même ne confiait-il pas : « après avoir inventé l’orchestre invisible, je voudrais inventer le théâtre invisible ». Mais compte tenu de toutes les limitations de l’entreprise, la proposition de Pierre Audi à Bruxelles s’impose comme un des plus beaux spectacles des dernières années, et clôt cette belle aventure de la plus éclatante manière qui soit. Une salle debout a salué l’équipe artistique et marqué bruyamment sa satisfaction que tant d’obstacles aient pu être surmontés.

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Mise en scène
Pierre Audi

Décors
Michael Simon

Eclairages
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Costumes
Petra Reinhardt

 

Siegfried
Bryan Register

Brünnhilde
Ingela Brimberg

Gunther
Andrew Foster-Williams

Gutrune
Anett Fritsch

Hagen
Ain Anger

Alberich
Scott Hendricks

Waltraute
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Marvic Monreal

Deuxième Norme
Iris Van Wijnen

Troisième Norne
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