Nele Vertommen, la hautboïste qui dirige l’ensemble Musica Gloria, à la recherche de répertoire de cantates du XVIIe siècle avec son instrument, a découvert la riche collection initiée par Georg Österreich (1664-1735), d’où toutes les pièces du programme sont extraites. Depuis des lustres, le personnage est tombé dans un profond oubli. De vingt ans l’aîné de Bach, élève de la Thomasschule de Leipzig, bien avant que le premier en prenne la direction, puis à Hambourg, Georg Österreich, fut ténor, compositeur et collectionneur. Il possédait la plus grande collection vocale de son temps, riche en œuvres sacrées avant Bach et en musique italienne (1). Celle-ci fut connue sous le nom de son second propriétaire, Heinrich Bokemeyer, cantor de Wolfenbüttel. Chanteur à la cour de Brunswick-Wolfenbüttel, Georg Österreich y compléta sa formation auprès de Johann Theile, avant de devenir Kapellmeister du duc, en 1689. La musique connut alors son apogée au château de Gottorf (qu’il faut découvrir). La Grande guerre du Nord (1700-1721) le conduisit à Brunswick, puis à Wolfenbüttel, où il disparut en 1735.
A travers toutes les œuvres enregistrées ici, provenant de sa collection (Sammlung Bokemeyer), on rencontre ses deux prédécesseurs (Theile, dont il a été fait état, et Johann Philipp Förtsch), un de ses professeurs de chant (le castrat italien Giulio Giuliani), son élève (Bokemeyer, héritier de la collection), son frère (Michael Österreich) et un organiste de ses amis (Friedrich Meister). Le programme est varié : six cantates (dont une en latin), un Vater unser, des arias et récitatifs (en allemand, de Bokemeyer,en italien, de Giuliani). Les œuvres s’accordent fort bien entre elles, y compris celles en latin et en italien. La formation se renouvelle en fonction des numéros, comme dans ses styles et modes d’expression. Les pièces sont brèves et caractérisées, et fournissent ainsi une belle palette des pratiques luthériennes du temps.
Un soin tout particulier a présidé à la réalisation, dans le choix des instruments comme dans les prononciations, d’époque. L’orgue, de 1690, est au cœur du dispositif musical, comme il l’était alors. Pour autant, sa présence n’est pas dominatrice. Sa registration nous ravit. Les hautbois fruités, véloces, babillards et savoureux, sont un régal, comme le basson/dulciane. Les cordes ne sont pas en reste. La direction impose une dynamique constante, des contrastes, une énergie et une souplesse qui rendent justice à ces partitions.
La conduite de la ligne, l’articulation, le soutien des huit voix sont exemplaires. Tout juste observe-t-on l’émission fraîche, mais quelque peu pincée de Maria Ladurner, ce à quoi on s’accoutume. Une réalisation dont l’homogénéité, la précision et la vigueur, les couleurs aussi, nous réjouissent. La plénitude, la ferveur s’y conjuguent à la lumière et à l’animation. Le parfum d’authenticité est conforté par le lieu de l’enregistrement, au cœur de cette Allemagne du Nord, à la frontière du Schleswig-Holstein (2).
Un beau disque, utile, non seulement par la découverte de Georg Österreich, mais aussi par le regard enrichi qu’il offre sur la vie musicale de cette Allemagne du Nord, dont le tissu n’était pas moins généreux que celui de Saxe, de Thuringe ou du Brandebourg. Soyons gré aux interprètes de rendre vie à ce riche répertoire éclipsé par les chefs-d’œuvre des figures les plus connues, qui leur doivent tant : il nous permet de les éclairer sous un jour renouvelé.
Seul petit regret : alors que la notice est richement documentée (allemand, anglais, français), les textes chantés ne connaissent qu’une traduction anglaise.
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(1) Plus de 700 pièces, des œuvres luthériennes de la fin du XVIIe siècle (Buxtehude, Bruhns, Krieger etc.), des cantates de chambre italiennes (dont 5 cantates d’Alessandro Scarlatti), des arias, un opéra d’Albinoni (Engelberta), des traités théoriques (24 !). La collection est maintenant disséminée, principalement à Berlin. (2) Les curieux liront avec intérêt un article remarquablement documenté qui permet d’enrichir ce tableau : Delpech (Louis), Les musiciens français en Allemagne du Nord (1660-1730) : questions de méthode, Diasporas 26, 2015, pp. 57-73.