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CHERUBINI, Médée – Montpellier

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Spectacle
10 mars 2025
La tragédie réduite au fait divers sordide

Note ForumOpera.com

2

Infos sur l’œuvre

Opéra en trois actes (version originale française)
Musique de Luigi Cherubini sur un livret de François-Benoît Hoffman, d’après la tragédie d’Euripide et celle de Pierre Corneille

Création à Paris, Théâtre Feydeau, le 13 mars 1797

Détails

Mise en scène, conception, réalisation vidéo
Marie-Eve Signeyrole

Collaboratrice à la mise en scène
Sandra Pocceschi

Décors
Fabien Teigné

Costumes
Ysahi

Lumières
Philippe Berthomé

Vidéo
Artis Dzerve

Réalisation vidéo
Céline Baril

Dramaturgie
Louis Geisler

 

Médée
Joyce El-Khoury

Jason
Julien Behr

Créon
Edwin Crossley-Mercer

Dircé
Lila Dufy

Néris
Marie-Andrée Bouchard-Lesieur

Servantes
Jennifer Michel et Natalia Ruda

Comédienne
Caroline Frossard

 

Enfants, membres de la Maîtrise populaire de l’Opéra-Comique (en alternance)
Inès Emara, Félix Lavoix Donadieu, Edna Nancy, Erwan Chevreux

 

Chœur Opéra national Montpellier Occitanie

Cheffe de chœur
Noëlle Gény

Orchestre national Montpellier Occitanie

Direction musicale
Jean-Marc Zeitouni

Coproduction avec l’Opéra-Comique

Montpellier, Opéra-Comédie, 8 mars 2025, 20h

En cette journée internationale des femmes, quelle riche idée d’avoir programmé cette Médée de Cherubini, dans sa version française, originale ! Autant Negar, de Kevyan Chemirani, réalisé par Marie-Eve Signeyrole était une incontestable réussite, autant la metteuse en scène, accompagnée de son équipe habituelle, se fourvoie-t-elle avec Médée, hélas. Fidèle à son approche des ouvrages anciens, elle transpose et réduit le livret à un fait divers sordide, « fruit d’une société raciste et patriarcale » : l’infanticide, avec un portrait-charge caricatural des hommes, et des altérations constantes des éléments du drame (1). La tragédie en sort défigurée, triviale, la musique de Cherubini servant d’illustration à l’histoire inventée par la réalisatrice. Quel gâchis ! Pourtant, pour la première fois, sauf erreur, le défi de conserver – même tronqués – les dialogues parlés en alexandrins autorisait une plus-value (2). On les disait difficiles à traduire la vie de chacun, voire impossibles. Heureuse surprise, les chanteurs relèvent avec bonheur ce véritable challenge.

Entre Gluck et Spontini ou Berlioz, Mozart et Beethoven, cette Médée, ouvrage « plus dangereux que tous les labyrinthes de Crète », fut admirée par ce dernier (3), Schumann, Brahms et Wagner et bien d’autres. Pourquoi est-elle si rare ? Ce fut un demi-échec à sa création, et n’étaient les scènes germaniques (Berlin, Vienne, puis Francfort et Munich), elle aurait pu disparaître. Si la Scala la reprit en italien, en 1909, un peu plus défigurée encore, c’est à Maria Callas que l’on doit son retour. La version originale reparut tout d’abord à Buxton (1984), puis à Paris l’année suivante. Depuis, elle a retrouvé ses lettres de noblesse, particulièrement à la faveur de la dernière édition de la partition (2006). La production, réalisée avec l’Opéra-comique (ex Théâtre Feydeau) où elle fut créée, a fait l’objet d’un excellent compte-rendu d’Antoine Brunetto, auquel nous renvoyons le lecteur. (Nous ne l’avons délibérément relu qu’après la représentation).

© Marc Ginot / OONM

La distribution, en dehors des servantes, issues du chœur, est inchangée. L’Orchestre national Montpellier Occitanie et le chœur associé prennent la relève d’Accentus. C’est Jean-Marie Zeitouni qui succède à Laurence Equilbey. Le décor est unique (c’est-à-dire pas de décor : une cage noire) modelé par les éclairages. Un système de rideaux coulissants du fond de scène, bienvenu, autorise les vidéos (regard des enfants, de Médée, live, et des éléments de leur vie, balançoires, bols… ainsi que le cadre naturel, une mer houleuse). Signés Yashi, les costumes, intemporels sont bien dessinés. Avant que retentissent les premiers accords de l’ouverture, la chute régulière des gouttes d’eau de la cellule où croupit l’infanticide nous introduit dans le drame. Le procédé sera repris avant le troisième acte. Le parti pris de la metteuse en scène la conduit à confier à une comédienne le double de Médée, dès la cellule d’isolement du centre pénitentiaire où elle est détenue. Ses réflexions, son témoignage – ajoutés – vont accompagner le déroulé de l’action. Le rappel de l’histoire précédant le lever du rideau est effectué durant cette ouverture. Le ton est donné : l’accouplement de Jason et de Médée, puis de Jason et de Dircé, sous le regard des deux enfants jouant aux toreros résument le parti pris de transposition. Les vidéos sont efficaces, sinon envahissantes (caméra mobile qui scrute les visages des enfants), essentielles pour traduire le propos de la réalisation, mais apportent-elles une plus-value à la tragédie ? Il en va de même des bruitages ajoutés en temps réel. L’insertion de courts passages, triviaux, sans rapport aucun avec le drame (le chat de la Mèr’ Michel etc.), ni avec la musique, fait plus que surprendre : il relève de la provocation.

Alors que les enfants du livret original sont muets, Marie-Eve Signeyrole impose leur regard constant, leur donne même la parole (voix off) pour dénoncer la violence de leur père, pourtant visuellement manifeste. S’ils constituent un des ressorts du drame, ils prennent ce soir la première place, évacuant toutes les autres composantes (les enjeux de pouvoir, les dieux et les sortilèges etc.). Ajoutez un pope et ses servants pour célébrer l’union de Jason à Dircé, conduite par son royal père, Créon, puisque ce sera dans une église qui accueille les réfugiées, brutalisées, violentées par les sbires à la scène précédente… Rien ne nous est épargné, la violence et le sexe semblent les seuls moteurs de cette pitoyable aventure. Ce n’est même plus un manifeste féministe, c’est un incroyable brûlot, parfois confus, surchargé, où l’on cherche péniblement les restes de la Médée originale. Tout est noir, la lumière et la couleur étant distribuées avec parcimonie. La violence des hommes prédateurs fait oublier celle du drame original. Plus de poignard pour le sacrifice des enfants, le poison ; à l’embrasement et au tonnerre final, se substitue un suicide silencieux dans l’eau… pourquoi s’être privé de cette dimension essentielle ? On espère que la perpétuité de cette Médée sera incompressible, et qu’elle ne sortira jamais du cachot où l’a confinée la mise en scène.

La distribution, avec prise de rôle de chacune et chacun, fait une large place aux artistes « canucks » (canadiens) et c’est tant mieux, car aucun ne démérite ce soir.  Non seulement la direction, mais trois des principaux protagonistes leurs sont confiés (Médée, Créon, Dircé). Médée, noble et monstrueuse, blessée, désespérée et vengeresse, est avant tout une femme amoureuse, au point de quitter son pays, trahir son père, tuer son propre frère, pour aimer sans limite. Le rôle, écrasant, est confié à Joyce El-Khoury, voix sonore et assurée, généreuse, au solide médium, d’un legato exemplaire. Elle porte l’ouvrage, belle et déchirante, farouche et humaine. Son combat intérieur est traduit avec justesse. Dès son air d’entrée, elle s’impose comme le personnage le plus attachant. Une grande tragédienne dont on admire tout autant la déclamation naturelle des textes parlés. Le dernier acte, à lui seul, suffit à justifier l’ouvrage et l’interprète. Le Jason de Julien Behr est ce soir une sorte d’Ottavio lubrique et violent, alcoolique. La mise en scène lui refuse le statut de guerrier héroïque, dévoré par l’ambition du pouvoir, soit, mais on regrette que l’émission souple, la ligne élégante de la voix soient sacrifiés au postulat que les hommes sont tous des brutes obsédées par le sexe. Edwin Crossley-Mercer est Créon. Aussi détestable que son futur gendre, le colérique souverain n’a pas la noblesse, l’autorité ni la rouerie attendues, faute au parti pris de la production. C’est bien dommage car les moyens sont incontestables, comme le jeu. L’émission est sonore, bien timbrée, et le dévoiement du personnage nous prive du vrai Créon. On attendait une Dircé (Lila Dufy) plus lumineuse sinon éblouissante. La conduite de la ligne, déliée, d’une voix quelque peu serrée à plusieurs reprises, en dehors de « Hymen, viens dissiper une vaine frayeur ». Les récitatifs sont vivants et la diction irréprochable.  La noblesse du chant de Marie-Andrée Bouchard-Lesieur (Néris) lui vaudra des applaudissements nourris après son « ah ! nos peines seront communes », avec un beau basson concertant. Le timbre, l’expression de la mezzo suscitent une admiration pleinement justifiée. Les servantes font leur travail, sans plus (Jennifer Michel et Natalia Ruda). Les ensembles (les duos et les finales de chaque acte, tout particulièrement) sont également réussis, et on oublie le cadre et la transposition pour en apprécier les réelles qualités.

Le chœur se montre le plus souvent puissant et précis, dès la Marche célébrant le belle Dircé. L’orchestre conduit par Jean-Marc Zeitouni gagnera en puissance comme en engagement tout au long de la soirée, pour un troisième acte bouleversant. Si l’ouverture paraissait convenue, le chef et ses musiciens s’approprieront vite une partition frémissante, flamboyante, pour nous bouleverser au dénouement, malgré une mise en scène qui en réduit singulièrement le format. A signaler, la flûte, puis le basson solos qui avaient remarquablement tissé leur ligne pour se conjuguer à la voix.

Une soirée où la déception le dispute au bonheur de retrouver un tel chef-d’œuvre servi par de belles voix. Que n’a-t-on fait appel à un juge des affaires matrimoniales ? Cela aurait invalidé le détournement de l’ouvrage, et sauvé deux innocents !

(1) Pour avoir eu le privilège de voir plusieurs productions de la version originale de Médée, point n’est besoin de tordre le cou aux didascalies pour rendre son humanité attachante à l’héroïne. La partition et le livret de 1797 se trouvent sur le net. Relisez Corneille, puis le livret de Hoffman ! Cessons de prendre le public pour inculte, et de penser le répertoire ancien de l’opéra à la lumière de séries télévisées, trop souvent racoleuses et sordides. 
(2) Pourquoi persister à classer Médée comme opéra comique ? Le livret original de la création la signale comme « tragédie ». Quant à la partition, de peu postérieure, elle l’intitule « opéra en trois actes ». De fait c’est une tragédie lyrique. Seuls les dialogues parlés, et le lieu de création, peuvent formellement appeler l’usage d’opéra-comique.
(3) « De tous les compositeurs d’opéra vivants, Cherubini est celui que je respecte le plus ».

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Opéra en trois actes (version originale française)
Musique de Luigi Cherubini sur un livret de François-Benoît Hoffman, d’après la tragédie d’Euripide et celle de Pierre Corneille

Création à Paris, Théâtre Feydeau, le 13 mars 1797

Détails

Mise en scène, conception, réalisation vidéo
Marie-Eve Signeyrole

Collaboratrice à la mise en scène
Sandra Pocceschi

Décors
Fabien Teigné

Costumes
Ysahi

Lumières
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Vidéo
Artis Dzerve

Réalisation vidéo
Céline Baril

Dramaturgie
Louis Geisler

 

Médée
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Jason
Julien Behr

Créon
Edwin Crossley-Mercer

Dircé
Lila Dufy

Néris
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Servantes
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Comédienne
Caroline Frossard

 

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Noëlle Gény

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