En ces temps troublés par l’épidémie de COVID 19, l’Opéra National de Grèce se lance à son tour dans la diffusion de spectacles en streaming. Le premier spectacle proposé est une Butterfly captée dans le moderne Stavros Niarchos Foundation Cultura Center (œuvre de Renzo Piano) à Athènes, en octobre dernier. Signe des temps, c’est une version réduite orchestralement qui nous est proposée, afin de respecter les distances dans la fosse.
Est-ce pour compenser cette formation limitée que la balance de l’enregistrement favorise l’orchestre, au détriment des voix ? Ce défaut ne saurait cependant obérer les atouts de cette production, à commencer par son rôle-titre.
Chrysanthi Spitadi (Suzuki), Ermonela Jaho (Cio Cio San) © Valeria Isaeva
Ermonela Jaho est aujourd’hui une titulaire incontournable de Cio Cio San, qu’elle a chanté sur toutes les scènes (de New-York à Paris en passant par Londres). Elle parvient dans ce rôle à une étonnante synthèse : une incandescence dramatique alliée à une grande délicatesse stylistique. On pourra trouver son jeu parfois maniéré (la captation en gros plan fait ressortir quelques minauderies au premier acte), mais difficile de ne pas être happé par son intensité, passant sans difficulté de la légèreté de l’adolescente au plus noir désespoir. Le chant est au diapason, couleurs prégnantes, ligne diaprée de pianissimi, il touche au cœur.
Face à elle, Gianluca Terranova, dont le timbre est loin d’être désagréable, est un Pinkerton un peu frustre, ce qui s’accorde finalement bien avec le personnage, plus antipathique qu’habituellement, arrogant et vulgaire (on admire notamment ses belles chemises hawaïennes). Manque cependant une quinte aigue plus libre pour totalement complaire au portrait vocal du yankee.
Ils sont entourés d’une équipe 100% grecque d’un très bon niveau. On retiendra en particulier le Sharpless plein de sollicitude de Dionysos Sourbis, au beau timbre cuivré, et la Suzuki émouvante de Chrysanthi Spitad, au mezzo ombré.
La direction de Lukas Karytinos ne souffre pas trop de la version allégée. Il maitrise le phrasé puccinien et compense une moindre variété des couleurs orchestrales par une gestion intelligente des atmosphères et des climax.
La production de Hugo de Hana, datant de 2013 mais réadaptée à la scène du Stavros Niarchos Hall, ne révolutionnera pas le genre, mais fait preuve d’une vraie lisibilité. Le dispositif scénique est très simple (trois pavillons sur fonds nu, animé de projections), et les costumes des protagonistes japonais restent traditionnels (à l’exception du jean porté par Butterfly à l’acte 2 pour souligner la rupture avec son pays et ses traditions). Les projections vidéos sont souvent superflues mais l’attention au jeu d’acteur convainc si ce n’est que les gros plans gâchent certains effets : la mort de l’héroïne devait être autrement spectaculaire vue de la salle.
Cette captation est disponible sur le site du Greek National Opera pour 10 euros jusqu’au 31 décembre 2021 et, élément notable, est disponible en version sous-titrée en français.