Nous avons aujourd’hui bien oublié le compositeur Karol Goldmark (1830-1915), hongrois qui vécut essentiellement à Vienne et ne parlait pas un mot de sa langue natale. La Hongrie pourtant ne lui en a jamais tenu rigueur puisque c’est là que son souvenir reste le plus vivace.

Violoniste dans les orchestres de fosse, il s’était mis à la composition à 25 ans, mais pas encore à l’opéra. Son admiration pour la voix d’un mezzo-soprano de 15 ans sa cadette et à qui il donnait des cours de piano, Karolina Bettelheim, lui fait songer au milieu des années 1860 à écrire une œuvre lyrique consacrée à la mythique reine de Saba. Ce n’est pourtant pas Karolina qui la créera, car elle se retire de la scène viennoise peu après. Goldmark demande un livret à un premier dramaturge nommé Klein, mais le compositeur n’en veut pas. Il se tourne vers Salomon Mosenthal, plus expérimenté. Celui-ci lui fournit rapidement les deux premiers actes sur les trois attendus, mais traine plusieurs années pour lui donner le dernier, que Goldmark charcute lui-même car il le trouve trop long, en tire un quatrième et préfère une fin tragique à celle que lui propose le librettiste.

Le compositeur présente sa partition à l’Opéra de Vienne, qui le refuse en 1871. Il faurt attendre trois ans pour que des extraits soient exécutés et recueillent les avis très favorables de confrères influents (au premier rang desquels Brahms et son bras armé, le critique Hanslick) pour que l’Opéra accepte de le programmer dans son entièreté.
L’opéra est donc créé voici 150 ans à l’Hoftheater de Vienne et restera son plus grand succès.

Il raconte l’histoire d’Assad, jeune fiancé de la princesse Sulamith, fille du roi Salomon, envoyé en ambassade auprès de la reine de Saba, qui vient rendre visite au vieux roi. Lorsqu’Assad revient de sa mission, précédant la reine, Salomon remarque son trouble. C’est que le jeune homme dit avoir rencontré (et, disons, un peu plus) une belle étrangère durant son voyage et son esprit reste arrimé à ce souvenir. Lorsque la reine de Saba entre et retire son voile pour saluer Salomon, Assad reconnait cette belle étrangère, qui affirme pourtant ne l’avoir jamais rencontré. Mais c’est bien sûr tout à fait faux et la reine elle-même reste profondément troublée par cette rencontre. Elle veut revoir Assad dans les jardins du palais, la nuit même. Sa servante, Astaroth, attire Assad vers la reine et les deux jeunes gens se retrouvent. Mais soudain, le gardien du temple juif appelle à la prière, prémices des noces d’Assad et de Sulamith. Assad doit s’y rendre la mort dans l’âme et, au moment de la cérémonie, la reine, comme indifférente à Assad, offre aux époux des monceaux de cadeaux. Mais Assad, n’y tenant plus, jette son anneau nuptial et se précipite aux pieds de la reine pour jurer qu’il n’y a qu’elle, devant une foule stupéfaite et furieuse. Devant le scandale, le roi Salomon, évidemment, se garde de porter un jugement trop hâtif.

Ce dernier ne tarde cependant pas trop : Assad est condamné à mort. La reine tente d’intercéder, mais Salomon ne veut rien entendre. Elle jure alors de se venger. Pendant ce temps, la pauvre Sulamith pleure à l’avance l’homme qu’elle aime. Touché, Salomon commue la peine en bannissement dans le désert. Sulamith jure qu’elle l’y suivra. Dans le désert, la reine conjure Assad de se joindre à sa caravane. Mais cette fois, le jeune ne cède pas. A demi étouffé par une tempête de sable, il est rejoint par celle qui l’aime vraiment dans les bras de laquelle il meurt, pardonné.
Oeuvre luxuriante à grand spectacle, Mahler la reprendra à Vienne en 1901 et Toscanini à Milan, avec Caruso avant une tournée mondiale. Mais après cette brève carrière triomphale, elle disparaît presque totalement. C’est l’une des dernières réminiscences du « Grand Opéra » meyerbeerien, où le ténor est déchiré, un peu comme Goldmark, coincé entre Meyerbeer et Wagner voire Verdi. Seuls subsistent aujourd’hui quelques morceaux célèbres donnés en concert ou en récital, dont ce miraculeux et très délicat « Magische töne », où il faut que le ténor sorte son meilleur falsetto. Une formalité pour Nicolaï Gedda.