Pour son retour sur la scène de la Salle Gaveau, Roberto Alagna a choisi de rendre hommage à Puccini à travers un programme ambitieux qui aligne la totalité des opéras du compositeur toscan, en proposant au moins un extrait de chacun d’eux. Chanter à la fois Rodolfo et Dick Johnson, Rinuccio et Cavaradossi ou Calaf, constitue déjà une prouesse pour un ténor à l’apogée de ses moyens, alors quand on a quarante ans de carrière sur les épaules, cela tient du miracle. Ce miracle, le ténor l’avait déjà accompli sur la scène de La Scala en juin 2024, soutenu par le piano de Jeff Cohen. Cette fois c’est l’Orchestre Colonne qui l’accompagne sous la direction de Jean-Louis Ossonce et l’exploit s’avère quasiment irréprochable. Alors évidemment, certains airs lui tombent mieux dans la voix que d’autres, il le reconnaît d’ailleurs lui-même puisqu’avant de chanter l’air de Rinuccio il explique que cet air pose un problème car, tout comme celui de Rodolfo, il n’est plus de son âge et comme le public proteste gentiment, il ajoute « Mais je vais le chanter quand même » déclenchant l’hilarité générale. De fait les pages où ils se montre le plus convaincant sont celle dévolues à un ténor spinto voire dramatique.
C’est devant une salle comble que Roberto Alagna fait son entrée sur le plateau, très élégamment vêtu d’un habit à queue de pie noir, d’une chemise, d’un gilet et d’un nœud papillon noirs également, accueilli par une salve d’applaudissements nourris. Les deux premières pages sont chantées en force, un traitement qui convient mieux à l’air d’Edgar avec ses aigus claironnants qu’à la plainte nostalgique de Roberto dans Le Villi. Suivent les trois airs de Des Grieux, au cours desquels, la voix petit à petit se réchauffe, le medium s’assouplit et se pare de sonorités veloutées tandis que le chant se fait plus nuancé. Cette partie s’achève avec l’air de Des Grieux qui conclut l’acte trois de Manon Lescaut. L’interprétation bouleversante du ténor lui vaut une ovation méritée.
La seconde partie s’ouvre avec l’incontournable « Che gelida manina » extrait de La Bohème, un ouvrage que Roberto Alagna a mis à son répertoire voici plus de trois décennies, qu’il a interprété sur les plus grandes scènes, et dont il a laissé deux intégrales au disque qui font référence. Si sa prestation ne manque pas de séduction et si la magie opère toujours en dépit d’un timbre moins solaire, force est de reconnaître que l’aigu a perdu sa rondeur d’autrefois, l’effort est désormais perceptible. Saluons néanmoins la performance d’autant plus que l’air est chanté dans le ton. En revanche l’air de Cavaradossi n’appelle que des éloges tout comme « Addio fiorito asil » interprété avec une facilité déconcertante. Avant d’aborder La fanciulla del West, notre ténor explique qu’il regrette de n’avoir pas eu l’occasion de jouer les cowboys sur scène en incarnant Dick Johnson dont il donne une interprétation remarquable de « Ch’ella mi creda libero ». Le programme s’achève avec un « Nessun dorma » de bonne tenue, couronné par un si percutant qui réjouit la salle.
Fidèle à sa générosité notoire, Roberto Alagna offrira à son public quatre bis, et non des moindres, qui lui permettront de parachever son parcours « puccinien », l’air de Ruggero dans La rondine, qu’il conclut sur un piano longuement tenu, le premier air de Calaf, « Non piangere Liù » et l’air de Luigi dans Il Tabarro, tous trois magnifiquement interprétés, avec une forme vocale retrouvée, et enfin l’air de Rinuccio, tout à fait défendable, même s’il ne possède plus la voix légère et juvénile qu’on attend ici. Chaque bis est précédé d’un commentaire, non dénué d’humour qui témoigne de l’aisance avec laquelle notre ténor a toujours su créer une complicité avec les spectateurs, grâce à sa faconde et son irrésistible charisme. Roberto Alagna aime son public et celui-ci le lui rend bien.
A la tête d’un Orchestre Colonne en bonne forme, en dépit de quelques écarts de justesse, Jean-Yves Ossonce adopte des tempos retenus et propose une direction fouillée avec un sens évident du théâtre. Toujours attentif à son interprète, leur connivence est réjouissante.