La vie des arts de la scène ayant été mise entre parenthèses par le Coronavirus, la rédaction de Forumopera.com vous propose – en attendant le retour des artistes in situ – quelques comptes rendus de créations mondiales historiques. Ceux-ci sont des travaux d’imagination et de projection, bien sûr – car généralement, nous n’y étions pas – mais ils vous permettront de humer l’ambiance des créations au temps de Mozart, de Rossini ou de Verdi.
Prague, le 29 octobre 1787
Le voyage de retour de Prague a été long. Ces huit jours de trajet en diligence nous ont épuisé. Les pluies d’un hiver précoce avaient raviné les routes en terre, en Bohème. Plusieurs fois notre diligence a failli se renverser. Mais nous ne regrettons rien. Nous avons en effet entendu le lundi de la semaine passée, le 29 octobre, un opéra qui nous semble un chef-d’œuvre : Don Giovanni de Mozart. Enfin, l’avenir en décidera…
La représentation a eu lieu dans le joli Théâtre d’État, bâtiment d’inspiration baroque qui a été inauguré il y a cinq ans. La salle était comble. Nous n’étions pas placé loin, dans le public, d’un personnage dont les mœurs ont beaucoup fait parler à Paris, dans les années 1760, et qui a été longtemps poursuivi par la police vénitienne : Giacomo Casanova. Il s’est assagi depuis et est devenu bibliothécaire d’un aristocrate pragois.
Prague – Théâtre des Etats
C’était le jeune Wolfgang Amadeus Mozart qui dirigeait l’orchestre. Nous disons jeune car il n’a que 33 ans. C’est lui aussi qui avait assuré la mise en scène. Dès qu’il arriva au pupitre, le public l’ovationna. On l’aime à Prague. Il a toujours autant d’énergie, déployant au dessus de l’orchestre des gestes dynamiques, faisant voler les boucles de sa perruque. Son visage trahissait la fatigue. On nous a dit qu’il n’avait achevé la composition de l’ouverture que dans la nuit précédant la représentation.
Le livret de l’opéra est de Lorenzo da Ponte. Il s’est inspiré de notre Molière. Il a traité l’arrogance de l’éternel séducteur. C’est certainement ce sujet qui a attiré Casanova – ou tout simplement son amitié avec Da Ponte. Ne sont-ils pas tous deux d’anciens prêtres défroqués ?
La musique de Mozart enchaîne les airs comme autant de joyaux. Après chacun, la salle exultait. L’ouvrage se termine par une scène d’une puissance inouïe, lorsque la statue du Commandeur, reprenant vie, entraîne Don Juan dans les enfers. Cette scène, à notre sens, marquera l’histoire de la musique.
Luigi Bassi dans le rôle de Don Juan lors de la création
L’interprétation a été magnifique. Don Juan était incarné par une basse de 22 ans, Luigi Bassi. Une voix plus un physique, mais aussi une certaine désinvolture qui sied au personnage ! (Les Pragois avaient eu l’occasion de l’apprécier récemment dans le précédent opéra de Mozart, les Noces de Figaro). Nous avons beaucoup aimé Teresa Saporiti dans le rôle de Donna Anna. (On nous a dit que celle qui défend sur scène la fidélité amoureuse, n’a pas la même rigueur dans la vie et qu’elle donne rendez-vous à ses amants dans l’église. Mais nous ne sommes pas là pour colporter les ragots pragois !) Nous avons adoré le ténor Baglioni, qui fait partie de la troupe du théâtre de Prague. Peu de troupes de théâtre peuvent se vanter d’avoir un ténor à la voix aussi pure. La délicieuse Caterina Bondini, interprète de Zerline, paysanne séduite par Don Juan au soir de ses noces, fait aussi partie de cette troupe. Elle est même l’épouse de son directeur. Du moment qu’elle chante bien !… Ce qui est sûr, c’est que le public a fait un triomphe au spectacle.
Il paraît que Mozart prépare un autre opéra sur un livret de Da Ponte. Il traitera, cette fois-ci, de l’infidélité féminine. Cela s’appellera quelque chose comme Cosi fan tutte. Nous avons hâte de l’entendre.