Certes, on le sait, le prince-archevêque Colloredo n’aime pas beaucoup le jeune Mozart, et ce dès son avènement à Salzbourg en 1772. Il trouve le jeune homme impertinent et son père trop absents de la ville et insuffisamment à son service. Il a par ailleurs des exigences stylistiques particulières qui ne conviennent pas nécessairement au jeune compositeur, épris de liberté y compris dans sa création.
Pourtant, ce n’est pas franchement pour le punir que Colloredo lui demande en mars 1775, au retour d’un autre long séjour des Mozart à Munich, de composer une nouvelle œuvre théâtrale, d’autant qu’il préfère en général lui demander des œuvres religieuses. Non, c’est qu’il doit recevoir avec tous les honneurs dus à son rang l’archiduc Maximilien-Franz, dernier fils de l’impératrice Marie-Thérèse, pour le mois d’avril. Il faut bien divertir l’impérial rejeton.
Quasi exact contemporain de Mozart – né en janvier 1756 quand l’archiduc est né en décembre – Maximlilien-Franz rentre à peine de France où il est allé rendre visite à sa sœur Marie-Antoinette. Colloredo ne veut rien laisser au hasard. Il choisit donc un livret éprouvé et déjà mis en musique par d’autres comme Gluck, Jomelli ou Hasse, et qui a été réalisé par une valeur sûre, Pietro Trapassi alias Metastase, près d’un quart de siècle auparavant : Il Re pastore (Le Roi berger), d’après l’Arminta du Tasse. Pour l’occasion, on réduit simplement l’intrigue de trois à deux actes. Conscient du peu de délai qu’il lui laisse, Colloredo décharge Wolfgang de tout autre travail pendant les semaines qui les séparent de l’arrivée de l’archiduc.
L’action se déroule à Sidon, en Phénicie (actuellement au Liban), que vient de conquérir Alexandre le Grand, qui en a chassé le vilain tyran Straton. Il cherche un successeur à ce dernier. Agénor, conseiller du roi de Macédoine, sait que ce successeur ne peut être qu’Aminta, berger qu’il a lui-même confié enfant à un autre berger pour l’élever bien qu’issu d’un très haut lignage. Aminta ne sait rien de son histoire et vient d’épouser Elisa, une bergère. Il est stupéfait lorsqu’Alexandre et Agénor viennent lui révéler qui il est. Alexandre exige qu’Aminta monte sur le trône vacant et Elisa encourage son amant.
Mais elle ne sait pas que maintenant qu’il est roi, il n’est pas convenable qu’il reste l’époux d’une simple bergère. Agénor suggère à Alexandre d’ordonner le mariage d’Aminta avec Tamiri, maîtresse du conseiller et fille du tyran déchu. Agénor préfère taire ses sentiments et permettre cette union voulue par son maître ; alors qu’Aminta ne veut pas renoncer à Elisa, qui est désespérée de ce coup du sort, que tous semblent accepter avec fatalité.
Le couronnement se prépare. Tamiri se précipite auprès d’Alexandre et lui avoue qu’elle est l’amante d’Agénor et qu’elle l’aime. Elisa vient de même déclarer qu’elle ne peut vivre dans son Aminta. Alexandre, magnanime, remet les choses à l’endroit : Aminta règnera avec Elisa à ses côtés et Tamiri épousera Agénor.
Mozart doit donc naviguer dans une histoire très bucolique, très en vogue à l’époque, dans ce style « galant » surtout fait pour mettre en avant la virtuosité des interprètes avec des intrigues assez simples et tournées vers la nature et la bonne moralité. Il s’exécute sans sourciller et non sans grâce dans l’écriture, répondant d’abord à une commande claire
Pour ne prendre aucun risque, Colloredo fait appel aux plus grands interprètes, dont le castrat Consoli, venu tout exprès de Munich pour chanter le rôle-titre (qui est donc travesti). Les festivités commencent le 22 avril, avec une Sérénade dramatique, œuvre la plus importante aux yeux de l’archevêque et confiée à son kapellmeister Fischietti. La fête théâtrale confiée à Mozart le lendemain, voici donc tout juste 250 ans, n’est donc qu’une sorte de dessert. Il n’y aura qu’une seule représentation et on ne sait rien de ce que les convives en ont pensé.
Mais il faut croire que ces contraintes n’ont pas beaucoup plu à Mozart, qui n’écrira plus pour l’opéra avant six ans et un certain Idomeneo…