L’atmosphère était à la fête bien avant le début du concert, ce dimanche après midi à Liège. Une grande star est à l’affiche, la salle est pleine, le concert a dû être reporté une première fois à la demande de la chanteuse, tout concourt à faire monter la tension auprès des spectateurs. L’orchestre a déjà commencé lorsqu’Anna Netrebko fait son entrée : somptueuse robe rouge à traîne, faite de soie imprimée, la Diva sait ménager ses effets. Mais c’est lorsque la voix se fait entendre qu’on mesure l’ampleur du phénomène. Ce qui frappe tout d’abord, c’est le volume. La salle n’est pas si grande à Liège, mais cette voix envahit tout l’espace, s’impose d’emblée avec une présence immédiate. Ensuite, c’est la qualité du timbre : chaud, franc, vigoureux, impérial, l’instrument est à la mesure du tempérament de l’artiste, et promet une soirée grandiose. En professionnelle aguerrie, la soprano conquiert son public dès le premier air, qu’elle a choisi long, difficile, et dramatiquement très efficace. Elle campe une Elisabeth (Don Carlo) magistrale, passant par toutes les humeurs et tous les sentiments avec autant de facilité. Tout au plus peut-on regretter quelques traces de maniérisme dans la façon d’appuyer les virtuosités vocales avec un petit air de ‘Eh oui, je peux faire ça aussi’ qu’on retrouvera tout au long de la soirée. Une diva reste une diva, elle reprend de façon presque caricaturale les traditions d’allongement à l’extrême des notes tenues, montrant par ailleurs un exceptionnel contrôle du souffle et une gestion experte de ses ressources vocales.
Le deuxième air de ce programme parfaitement équilibré (toute la première partie est consacrée à Verdi) est réservé à son époux, le ténor Yusif Eyvazov, certes moins connu, mais qui montrera tout au long du récital des qualités vocales impressionnantes, lui aussi. Dans son premier air, (la vita e inferno extrait de la Force du Destin) il reste plutôt réservé, presque appliqué dans ses attitudes et ses intentions musicales. La voix, fort ouverte, est puissante, pas toujours très égale, en particulier sur la voyelle i qui recule souvent, mais le chanteur gagnera en assurance au fil du temps pour atteindre des sommets en seconde partie de programme. C’est dans les duos que les deux artistes donnent le meilleur d’eux-mêmes, montrant une réelle connivence, un réel plaisir à chanter ensemble très communicatif et que la salle perçoit très vite. Ainsi, la première partie se conclut avec « Libiamo nei lieti calici » (Traviata) particulièrement brillant et bien enlevé.
La seconde partie du programme, réservée à Puccini, permettra à l’orchestre de se montrer lui aussi très à son avantage, sous la baguette joyeuse et inspirée de Michelangelo Mazza, Il permettra aussi à la soprano de montrer une deuxième robe, d’un magnifique vert d’eau à parements de galons argentés… Les airs sont plus longs, la cohérence dramatique de la soirée en est renforcée et les trois extraits de La Bohème qui constituent l’apothéose du programme sont tout simplement fabuleux, tant vocalement que musicalement : le deux époux ont trouvé le ton juste, l’émotion qu’il faut pour rendre la rencontre et les amours balbutiantes de Mimi et Rodolfo. Le triomphe est complet, la salle soulevée d’enthousiasme donne aux deux solistes une standing ovation bien méritée. Deux bis viendront couronner la soirée, pour le plus grand bonheur de chacun.