Le Songe d’une nuit d’été de Britten est-il transposable à l’envi ? Peut-il s’exporter sans dommage ou doit-il être donné dans des circonstances qui reproduisent sa création ? Autrement dit : comment concilier respect de l’histoire et prise en compte des exigences de la modernité ? La question vaut d’être posée.
Pour cette œuvre de circonstance, créée à une occasion et en un lieu bien particuliers (le Festival d’Aldeburgh et l’inauguration du Jubilee Hall en juin 1960), Britten et Pears s’attaquent avec autant de déférence que d’inventivité à l’adaptation du Midsummer Night’s Dream de Shakespeare et, en quelques semaines, Britten nous livre une partition ciselée, intimiste, où chaque détail est lumineux, pétri de sens et rend intelligent tout spectateur qui en percevra la fausse simplicité. Orchestre réduit, où chaque instrument doit sonner individuellement, voix mesurées et adaptées au lieu de la création (la jauge du Jubilee Hall était de 316 places), scène exigüe qui ramasse et confond les décors, obligeant les personnages à se souder et à rendre ce faisant équivoque la frontière entre elfes et humains. Quelle salle peut proposer cela aujourd’hui ?
C’est sans doute là la difficulté première pour le chef que de rendre justice à cette partition arachnéenne où se tisse petit à petit, au fil des tableaux, une toile musicale fine, délicate et enchanteresse, dont on ne s’extirpe qu’avec difficulté et avec l’impression d’avoir été pris au piège d’une musique qui nous a envoûté sans qu’on y prenne garde.
C’est aussi une gageure pour un metteur en scène disposant d’un large espace scénique que de l’habiter sans le surcharger inutilement, de le lester de symboles tout en laissant possible au spectateur l’accès à l’intelligence et au spirit de la situation.
De ce point de vue le binôme Daniel Carter/Ted Huffman (bien servi il faut le dire par la distribution vocale) s’en tire très honorablement.
La nouvelle production proposée sur la Bismarckstrasse ne nous est pas totalement inconnue puisqu’elle a été inaugurée avec bonheur à Montpellier ; au Deutsche Oper il faut remonter à 1975 (Masur/Felsenstein) pour voir figurer au répertoire ce chef-d’œuvre de Britten. C’est dire si cette série de représentations (nous assistions à la dernière) était attendue.
Le chef australien Daniel Carter résout avec bonheur la difficile équation qui lui échoit dans une salle de cette dimension : donner tout à entendre (et particulièrement les instruments moins communs comme le célesta et le glockenspiel) sans surcharger les lignes et en laissant audible la scène. Ted Huffmann doit faire avec le gigantisme du plateau et, concédons-le, ne parvient pas toujours à l’habiter pleinement, malgré l’intelligence de son propos. Le vide de la scène est souvent criant, angoissant, frisant presque le contre-sens quand la forêt athénienne, lieu de toutes les proximités et confusions, des équivoques et fourvoiements, est figurée par les elfes (ici le chœur d’enfants) gris-noir, si peu propices à la complicité des situations et bien incapables de rendre le charme enchanteur d’une forêt labyrinthique. Le parti pris du metteur en scène américain est de faire cohabiter sans qu’ils se voient les elfes (tout de gris, de noir et de blanc), et les humains (les princes et les rustres), aux habits colorés, le tout culminant dans une scène finale inondée de rouge où les rustres donnent à Thésée et Hyppolyta la pièce commandée.
©Marc Ginot
Le plateau vocal ne peine guère à faire pleinement honneur au texte magnifique et délicieusement suranné de Shakespeare. Britten a poussé la coquetterie jusqu’à ne faire figurer qu’une seule phrase de son cru, l’ensemble du livret reprenant l’équivalent d’un tiers environ du texte original. Il s’est aussi fait fort de rendre intelligible la merveilleuse poésie de cette langue que personne ne parle mais que tout le monde comprend. Aussi les voix ne sont-elles jamais vraiment exposées, si ce n’est celle de Tytania, tenue ce soir par une merveilleuse Jacquelyn Stucker aussi à l’aise à se déguiser en drag queen draguant l’âne-Bottom qu’à se jouer des vocalises aériennes, attaquer pianissimo dans l’aigu ou jouer de son androgynie dans ses duos avec Obéron. Stucker fut la gagnante à l’applaudimètre, et c’est très bien ainsi, l’Obéron de James Hall aurait mérité égale ovation. Rôle sans difficulté vocale particulière (une tessiture d’une octave) certes, mais une exposition permanente face à une orchestration que Britten avait souhaitée très claire pour Alfred Deller, créateur du rôle et dont la puissance était assez limitée. James Hall, dont le timbre nous a rappelé, surtout au I, celui de James Bowman, a su donner une vraie personnalité à un Obéron que l’on voit souvent représenté comme un personnage éthéré et sans grande personnalité. On aimera l’entendre dans des rôles plus corsés.
Les deux couples aux affinités électives sont remarquablement distribués et on hésitera à mettre en avant l’un plutôt que l’autre. Jeanine De Bique (Héléna) nous a gratifié d’un soprano au moelleux enchanteur ; sa rivale Hermia (Karis Tucker) formidable en amante outragée, les deux rivaux Lysander et Demetrius tenus par Gideon Poppe et Samuel Dale Johnson qui nous confirment tout le bien qu’il faut penser de la troupe du Deutsche Oper.
Le Bottom de James Platt, tel un Rubeus Hagrid tout droit issu de la féérie de Harry Potter, possède une basse fournie et chaleureuse qui l’accompagne dans ses métamorphoses et péripéties.
Un mot aussi du rôle parlé de Puck donné par Jami Reid-Quarell. Britten avait souhaité que cette partie fût tenue par un tout jeune homme à peine pubère, à l’aise dans le monde des elfes. Ted Hoffmann a voulu plutôt confier cette partie à un acteur mature représentant un personnage ayant quitté le domaine de l’enfance et cherchant à intégrer celui des adultes. Aussi le voit-on virevolter dans les airs, passant d’un groupe à l’autre, se faisant tantôt l’entremetteur, tantôt l’empêcheur de tourner en rond.
Le Kinderchor du Deutsche Oper ne mérite que des éloges. Diction surprenante de justesse, rythme parfaitement tenu, il a donné une fraîcheur bienvenue à une représentation qu’il faudra voir quand l’occasion se représentera.