« Qu’avez-vous donc fait là ? » est le cri poussé par le prince Estherazy, commanditaire de la Messe en ut, lorsqu’il l’entendit pour la première fois. Il faut dire que pour une oreille habituée à la musique religieuse de Haydn ou de Mozart, cette partition de Beethoven a de quoi surprendre : parfois tonitruante, pleine de ruptures, les différents mouvements pouvant sembler un peu décousus, le recueillement n’est pas sa qualité première.
Cette Messe en ut Majeur n’en demeure pas moins une œuvre très intéressante dans ses contrastes et d’une vivacité haletante, qui mériterait bien qu’on la joue plus souvent, ne serait-ce que pour les premières mesures du Kyrie, totalement suspendues.
Le chœur à l’œuvre ce soir est le Balthasar-Neumann-Chor, dirigé par son fondateur Thomas Hengelbrock et accompagné par le Balthasar-Neumann-Ensemble. On s’étonne à son entrée du placement inhabituel de tous les chanteurs, à l’avant-scène. Le chef explique qu’il s’agissait de la position habituelle des chœurs à l’époque de Beethoven, et si l’ensemble n’est pas très joli – tout ce beau monde semblant bien à l’étroit –, cette place a des qualités évidentes : tout d’abord, elle favorise l’écoute entre les différents pupitres – le chœur étant scindé en deux –, et il faut souligner la belle homogénéité qui en découle. On constate également une homogénéité avec l’orchestre, placé au plus près, et par là-même une précision des attaques remarquable, que la grande distance entre les différents acteurs ne permet pas toujours. La proximité permet aussi à Thomas Hengelbrock de diriger le chœur et les musiciens avec un même souci du détail, passant des uns aux autres avec une facilité beaucoup plus grande. Voilà qui pourrait donner des idées pour de prochains concerts…
Les chanteurs font donc preuve d’un très beau son d’ensemble, et le seul reproche que l’on pourrait leur faire est un texte pas toujours parfaitement compréhensible, notamment dans le Gloria et le Credo : la faute en partie à une écriture très dense, et en partie à des consonnes qui manquent de mordant. Mais le chœur défend en tout cas cette œuvre avec énergie et en donne une interprétation tout à fait convaincante.
Concernant les solistes, ils ne sont pas moins de neuf (trois ténors, deux sopranos, deux mezzo-sopranos et deux basses) à se relayer d’un numéro à l’autre. Tous issus du chœur, ils exécutent bien leur partie sans pour autant vraiment tirer leur épingle du jeu et s’affirmer en tant que soliste. Seuls le ténor Jan Petryka et la basse André Morsch se font remarquer grâce à un très beau timbre et une parfaite projection.
Ceux qui en revanche ne sont jamais en retrait sont les musiciens de l’orchestre : présents, réactifs, ils accompagnent à merveille cette Messe en ut où le chef trouve un bel équilibre entre des cordes très audibles et la possibilité pour les vents et violoncelles de faire émerger des touches de couleur et des dessins mélodiques.
L’occasion d’entendre le Balthasar-Neumann-Ensemble plus longuement nous avait été donnée en première partie de concert avec une ouverture de Coriolan remarquable, où le travail du compositeur sur les nuances, les atmosphères et les timbres a été rendue magnifiquement par les musiciens ; avec un Concerto pour piano n°4 également, interprété au pianoforte par Kristian Bezuidenhout. Si le jeu du soliste se révèle de haute facture – avec une main gauche d’une agilité saisissante – malgré une cadence du premier mouvement assez peu inspirée, on apprécie des choix d’interprétation qui intègrent complètement l’instrument à l’orchestre et les font dialoguer de manière très étroite. On apprécie plus encore qu’un pianoforte et des instruments anciens aient permis de reconstituer le son que Beethoven pouvait avoir en tête lors de la composition de l’œuvre.
Qu’avez-vous donc fait là, Monsieur Hengelbrock ? Vous avez dirigé d’une main de maître.