L’Opéra d’Avignon reprend la version de La Fille du Régiment revue par Shirley & Dino, donnée à Montpellier (dans le cadre des Folies d’O) en juillet 2018. Le duo de comiques donne libre cours à ses talents multiples, dans une mise en scène souvent amusante, avec des décors que rehaussent et animent de manière parfois loufoque les images projetées des talentueux vidéastes Julien Meyer et Julien Cano de ID Scènes.
Donizetti, La Fille du Régiment, Avignon 2020 © Cédric et Mickaël / STUDIO DELESTRADE
L’Orchestre Régional Avignon-Provence, sous la direction de Jérôme Pillement, fait entendre la beauté de la musique de Donizetti, mettant en valeur les moments lyriques (ainsi le cor anglais pour la romance de Marie, « Il faut partir »), mais sans se départir, dans les moments plus agités de l’intrigue et de la partition, d’une relative discrétion qui semble soucieuse d’éviter les éclats. D’où un certain contraste avec une scénographie facétieuse et volontiers farfelue, fondée sur le choix d’illustrer l’opéra-comique « patriotique » de Donizetti par une évocation du cinéma italien des années 50-60 et ménageant l’irruption sur scène, à la faveur d’un précipité puis entre les deux actes, de Gilles Benizio en apprenti chanteur venu pour une audition, puis de Gilles et Corinne interprétant – de manière caricaturale, cela va sans dire – le duetto de l’âne extrait de Véronique de Messager.
Si le comique peine à s’imposer durant le premier acte, en raison d’une réécriture assez maladroite des dialogues, le rythme adopté au second acte rend davantage justice à l’esprit de l’œuvre, par ailleurs suffisamment amusant en soi pour faire sourire encore les spectateurs d’aujourd’hui. Il n’est pas toujours nécessaire d’en rajouter, et trop de comique tue le comique.
Les deux jeunes interprètes principaux sont remarquables : la soprano Anaïs Constans interprète Marie avec un abattage scénique qui ne le cède en rien à la qualité vocale – une émission d’une précision admirable, une voix claire avec une belle projection et une diction de la langue française qui permet de comprendre chaque mot de son texte. Tout au plus peut-on encore attendre davantage de nuances, notamment dans les passages émouvants de la partition (même si le traitement général de l’œuvre dans cette production ne s’y prête pas nécessairement). Le rôle de Tonio, avec ses neuf contre-ut, est tenu avec vaillance par le ténor Julien Dran, qui allie lui aussi la justesse et la beauté de la voix à un jeu scénique convaincant, dans l’émotion comme dans l’humour, et à qui ne manque encore qu’une projection plus sonore pour s’affirmer pleinement.
Le Sulpice de Marc Labonnette, au timbre rond et équilibré, tour à tour autoritaire et malicieux, illustre la parfaite complicité qui lie le sergent à la fille adoptive du Régiment, tandis que Julie Pasturaud campe une savoureuse marquise de Berkenfield, au jeu engagé, dont les éclats de voix sont d’une grande efficacité, même s’ils ne sont pas toujours très compréhensibles. Mention spéciale à João Ribeiro Fernandes, basse sonore aux faux airs de Pedro Almodovar et à la voix chaleureuse, qui interprète avec moult effets le rôle d’Hortensius et, de manière plus drôle, celui de la duchesse de Crakentorp, ajoutant ainsi une nouvelle strate comique à la représentation, servie par des gags que permet une mise en abyme, savamment graduée, de l’attribution de ce double rôle.
Enfin le Chœur de l’Opéra Grand Avignon – dont le rôle est particulièrement important puisqu’il doit interpréter les soldats du 21e Régiment (ici mixte par nécessité), c’est-à-dire le père adoptif pluriel de Marie – donne le sentiment de se souder tout au long du spectacle pour arriver à un ensemble homogène, vocalement et scéniquement, et de belle musicalité.