La condescendance de certaines salles lyriques à l’endroit des œuvres légères connaît une parenthèse en ces fins d’année. L’Opéra-Théâtre de Metz Métropole a toujours fait une large place au divertissement, et nous offre un classique du genre, La Vie parisienne, dans la remarquable mise en scène de Jérôme Savary. Disparu en 2013, il avait placé Offenbach au cœur de son parcours. Qui l’aura mieux illustré, avec tant d’ouvrages, durant plus de vingt-cinq ans d’une fréquentation assidue ? Première réussite absolue de sa carrière lyrique, cette réalisation fut créée à 1978 (Francfort), bien avant qu’il prenne en charge l’Opéra-Comique (2000-2007). Régulièrement reprise par de grandes scènes, elle a ainsi accédé au statut de classique. C’est la version en cinq actes qui est offerte, riche d’une demi-douzaine de numéros oubliés, permettant à Madame de Quimper-Karadec (Marie-Emeraude Alcime) de défendre la vertu avec une autorité vocale et dramatique incontestable comme au Brésilien d’animer le grand finale. Aucune longueur malgré la durée : les acclamations d’un public transporté n’auront de cesse. Pétillant, cocasse, inventif à souhait, le livret est efficace, bien tourné, d’une caricature contemporaine, sans complaisance. La partition est pimentée de citations musicales aussi improbables que drôles, les dialogues parfois enrichis de brèves allusions à notre actualité. Egalement. Inattendu, bienvenu lui aussi, Offenbach en personne intervient pour rappeler et fêter son 200ème anniversaire, chanté comme il se doit, et suppléer le chef durant les saluts. Le souvenir que l’on gardera de cette production est celui d’un très beau spectacle animé, piquant, coloré, dansé et chanté par une équipe dont les complicités sont évidentes. Visuellement, c’est un constant régal. Les beaux décors de Michel Lebois, les très nombreux costumes de Michel Dussarat sont autant de réussites, servis par de remarquables éclairages de Patrice Willaume. La chorégraphie de Nadège Maruta, spécialiste du can-can, est époustouflante de virtuosité et d’engagement. Spectaculaire et recherchée, elle est servie par de merveilleux danseurs, d’une vitalité, d’une grâce et d’une précision à couper le souffle. Les grandes revues n’ont rien à lui envier.
Gabrielle et le Brésilien © Christian Brémont – Opéra-Théâtre de Metz Métropole
Opéra-bouffe de comédiens ou de chanteurs ? Indéniablement les deux sont exigés, ce qui constitue le défi. Ce soir, la distribution reflète ces subtils équilibres, où les chanteurs sont d’authentiques comédiens et les acteurs de solides chanteurs, pour un défoulement collectif, alcoolisé, érotisé, sans jamais la moindre vulgarité. Bobinet et Gardefeu sont de faux-jumeaux, fêtards à la recherche de conquêtes faciles. Rémi Mathieu chante le premier, dont l’habit craquera dans le dos, avec désinvolture, séduction et cynisme : l’aisance, le charme, les qualités de timbre et de diction (« Elles sont tristes les marquises ») sont manifestes. Le rôle de Raoul de Gardefeu, le gigolo mondain, est confié à Carl Ghazarossian. Ses nombreuses interventions confirment une belle carrière, conduite avec intelligence. Les couleurs séduisent, comme l’émission puissante et la diction claire. Familier des ouvrages légers, ancien pensionnaire de la Comédie française, l’excellent Laurent Montel, Gondremark, n’en est pas moins un beau baryton bouffe : le premier trio, ses couplets « Dans cette ville », son duo avec Pauline l’attestent. La stature, l’autorité dramatique et vocale impressionnent. Scott Emerson a la difficile tâche de chanter Frick, le bottier, chenu et concupiscent, et le Brésilien truculent. Mission impossible ? Au premier, il donne un timbre ingrat, de composition (« Pour découper »), du second, il n’a ni l’abattage, ni la rondeur, ni la drôlerie attendues. On l’a connu mieux employé. Frédéric Longbois crève l’écran, qu’il incarne Prosper, Alphonse ou le Major. La voix est saine, puissante et toujours intelligible, qu’elle soit parlée ou chantée. Le dernier ténor, Eric Mathurin campe fort bien Gontran, Joseph (ici, bègue), et Trébuchet.
Si le jeu dramatique des chanteurs semble millimétré par une intelligente direction d’acteur, les performances vocales souffrent ponctuellement de quelques inégalités. Métella, la demi-mondaine, a l’élégance comme la gouaille de la femme fatale qui sait se montrer attachante par sa mélancolie, sa nostalgie. La voix d’Irina Stopina, opulente, sensuelle, aux graves solides et délibérément appuyés, a de la tenue, son jeu et son physique sont en parfaite adéquation avec les exigences du rôle. Tant la lettre que le rondo sont des moments privilégiés. De Gabrielle, la gantière, Capucine Daumas possède la jeunesse et la vivacité. Le rôle est vocalement le plus exigeant de l’ouvrage, les interventions sont nombreuses et remarquées (« Je suis veuve d’un colonel »). Le timbre surprend, parfois nasal, et la qualité d’émission semble souffrir de la fatigue des derniers jours. Sylvie Bichebois, issue du chœur de l’Opéra, familière des seconds rôles, incarne une baronne, décalée, un peu gourde. Si le jeu est convaincant, la voix, instable, accuse parfois la fatigue, elle aussi (trois représentations en trois jours, sans compter la pré-générale et la générale…). Par contre, dans une forme éblouissante, nous admirons Nina Savary, fille de Jérôme, enfant du « Grand Magic Circus », excellente comédienne-chanteuse. Elle incarne Pauline à merveille.
Le chœur, outre les introductions et finales des actes I, III et IV, nous vaut nombre d’interventions, essentielles, de la gare de l’Ouest à l’immoralité finale. « En avant, les jeunes femmes ». Chœur d’hommes, de femmes, mixtes, c’est toujours un bonheur. S’il lui faut quelques moments pour trouver ses marques, les décalages du début sont vite corrigés et la cohésion ne sera plus jamais prise en défaut. La prouesse des chanteurs-acteurs-danseurs du chœur impressionne, et les changements instantanés de costumes relèvent du miracle. D’une vitalité constante, la direction attentive et enjouée de Claude Schnitzler traduit aussi bien la subtilité des émotions de Métella que l’ivresse tournoyante qui s’empare de tous. L’orchestre sait prendre des couleurs mozartiennes même si une joie débridée commande l’ouvrage. Ça pétille, champagne ou mousseux, selon les situations.