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Masqués par les mastodontes que sont le Chicago Symphony ou le Philharmonique de Los Angeles, des phalanges symphoniques américaines moins prestigieuses au premier abord passent trop souvent inaperçues en Europe. C’est le cas du Pittsburgh Symphony, qui était de passage à la Philharmonie, en compagnie de Matthias Goerne, dans un programme consacré à Schubert, Strauss et Chostakovitch, ainsi qu’une découverte de Mason Bates.
Si ce dernier est un véritable phénomène outre-Atlantique, sa musique peine à se faire connaître en France. Après l’audition de ce Resurrexit donné en création française, on se dit que ce n’est peut-être pas si grave. Il faut reconnaître que la partition est admirablement instrumentée, mais cela ne suffit pas pour rattraper une imagination un peu en panne. On nous ressort les éternels accords majeurs parallèles, usés jusqu’à la corde dans le monde du cinéma, la même mélopée pseudo-arabisante qui est à ranger à côté des autres essais ratés d’appropriation culturelle, et (comme il se doit) un tonitruant final en ré majeur, à grand renfort cloches, cymbales et tout le tralala. Avec tous ses travers, Chostakovitch, lui, à au moins le mérite de faire preuve de second degré.
L’orchestre étant chauffé, nous pouvons passer aux choses sérieuses. Matthias Goerne proposait ce soir six lieder de Strauss et de Schubert. Si l’on regrette avant tout la brièveté de ce cycle apocryphe, on en savoure d’autant plus l’équilibre. Alternant la sérénité la plus complète (« Im Abendrot ») aux tuttis orageux (« Ruhe, meine Seele ! »), le baryton se présente sous toutes ses facettes. Sa tendance à alléger les aigus pour obtenir un réel piano s’avère terriblement efficace chez Schubert. Pour Strauss, la voix se fait volontiers plus profonde, allant jusqu’à faire trembler les murs de la Philharmonie. Manfred Honeck suit son partenaire de scène attentivement, et dévoile l’excellent pupitre de cordes de l’orchestre, comme le prouve la conclusion de « Tränenregen » au bord du silence. « Morgen » conclut le cycle sur une extase mélancolique, et il n’y a que le violon solo un peu sirupeux de Zenas Hsu pour nous arracher à notre rêverie.
Aux Etats-Unis plus qu’ailleurs dans le monde (à l’exception de la Russie), la musique de Chostakovitch rencontre un enthousiasme sincère chez le public. Est-ce grâce à Leonard Bernstein, qui défendit le compositeur durant toute sa carrière, ou est-ce que les antécédents de guerre froide se font encore ressentir dans la programmation des concerts ? Nul ne le sait, mais on peut constater ce soir que la musique du compositeur russe sied tout à fait au Pittsburgh Symphony. Nous parlions de la robustesse de la section de cordes : elle fait toutes ses preuves dans cette Symphonie n° 5, surtout dans le Moderato introductif et dans le mouvement lent. Il faut dire que l’orchestre obéit au doigt et à l’œil aux souhaits de son directeur musical, qui n’hésite pas à pousser ses musiciens au confins de l’audible ou aux limites du supportable. Le troisième mouvement est également l’occasion de noter les excellentes solistes à vent de l’orchestre, notamment et surtout Lorna McGhee à la flûte et Cynthia Koledo DeAlmeida au hautbois.
Récoltant des applaudissements tonitruants, l’orchestre gratifie le public d’un charmant « Matin » de Peer Gynt, et d’un ébouriffant extrait de Roméo et Juliette de Prokofiev.