La saison 2019-2010 s’est ouverte par un succès impressionnant au Théâtre des Champs Elysées. Après des Noces de Figaro très réussies en 2017 son directeur Michel Franck, pour ce Don Giovanni, a fait appel, à nouveau, à l’Orchestre de Chambre de Paris et à la troupe du Festival anglais de Garsington, deux institutions que dirige avec brio le chef écossais Douglas Boyd. Les solistes et le chœur viennent d’Angleterre, déjà bien aguerris par les douze représentations dans le théatre éphémère dressé, de mai à juillet, sur la pelouse du manoir de Wormsley, qui appartient à la famille Getty, mécène du festival. Un festival où Mozart est roi et qui aime faire découvrir de jeunes chanteurs. On songe évidemment à l’esprit qui avait présidé à la fondation en 1934 du festival de Glyndebourne par le chef d’orchestre Fritz Busch dans le théâtre que John et Audrey Christie avaient construit près de leur manoir.
Le programme annonçait, à Paris, une mise en espace, avec orchestre et chanteurs sur scène. Or c’est bien à un vrai spectacle de théâtre que l’on assiste. Un théâtre, sans décors ni accessoires superflus, qui va droit à l’essentiel, grâce une direction d’acteurs remarquable de Deborah Cohen, qui colle à la musique et au livret de Da Ponte et qui est digne de l’excellente école anglaise de théâtre. Elle sait croquer un personnage à petites touches et le faire évoluer avec naturel. Les sur-titrages sont souvent savoureux et le public réagit au quart de tour aux apartés frondeurs. Le rythme est tel qu’il n’y a aucune baisse de tension. Les airs se succèdent et, finement mis en scène, ils s’insèrent tout naturellement dans la trame dramatique qui ne cesse de s’intensifier jusqu’à la fin. Ainsi aucun da capo n’est ennuyeux. Au contraire il permet de mieux définir les personnages. Dans l’air du catalogue de Leporello, par exemple, magnifiquement interprété par le baryton David Ireland – voix chaude et technique impeccable – c’est, dans la nouvelle énumération des conquêtes de son maître, qu’il prend soudain conscience du rôle qu’on le force à jouer et qui peut le mener à sa perte. C’est remarquable de justesse et de finesse. Et tout est à l’avenant Sur scène au milieu des chanteurs, l’excellent Orchestre de Chambre de Paris, joue le jeu avec un engagement sans faille. Douglas Boyd se montre toujours attentif aux chanteurs qui virevoltent alentour ! C’est donc, comme à Glyndebourne, du temps de Fritz Busch, à un travail d’équipe qu’on assiste, et l’engagement des interprètes, qui méritent tous des éloges, gagne le spectateur. Les voix d’hommes impressionnent dans le premier acte. A commencer par le ténor gallois Trystan Llŷr Griffiths, très applaudi aux saluts. Sa tenue de souffle est admirable (notamment dans les vocalises de « Il mio tesoro », et les pianis superbes de la reprise de « Dalla sua Pace ») et il campe un Ottavio tout à fait convaincant et très vindicatif. Jonathan McGovern est un Don Giovanni à la voix claire, truculent, mauvais garçon à souhait et provocant jusque dans le dîner final où l’humour, à son paroxisme, n’en rend que plus grave la chute finale. Le Masetto de Thomas Faulkner et le Commandeur de Paul Whelan ne déméritent pas à leurs côtés.
Les femmes se taillent un franc succès dans le deuxième acte. La soprano italo-brésilienne Camila Titinger est une Donna Anna juvénile avec une égalité d’émission du grave à l’aigu, capable de messa di voce où sa voix gagne encore en qualité. Elle se joue avec aisance de toutes les difficultés de son dernier air « Non mi dir bell’idol mio ». A ses côtés, la soprano Sky Yngram a la voix d’airain qu’exige Elvira à la fois dans les élans amoureux et dans les éclats de fureur où elle excelle. Son assurance dans « Mi tradi quell’alm ingrata » lui vaut de francs applaudissements. La Zerline de la Franco-Canadienne Mireille Asselin est à la fois rouée et charmante. Et sa voix a souvent de belles couleurs, surtout dans l’aigu. Tous ces inteprètes sont en plus de remarquables acteurs.
C’est donc une véritable ovation, bien méritée, qui accueille toute la troupe, l’orchestre et leur chef aux saluts.