Depuis quelques années, les psychologues nous parlent des « parents hélicoptères », ces géniteurs qui ne peuvent laisser leurs enfants en paix et « planent » constamment au-dessus d’eux pour les surveiller. Après avoir vu Madame Butterfly monté à Liège par Stefano Mazzonis, on se dit qu’il doit aussi exister des « maris hélicoptères » qui utilisent ce moyen de transport pour venir arracher leur enfant aux griffes d’une mère trop aimante : en effet, si Pinkerton revient bien à bord du navire Abraham Lincoln, c’est à bord d’un hélicoptère qu’il revient chez Butterfly, au cours d’une scène qui ne manque pas de provoquer quelques gloussements de la part du public (l’engin se pose – en silence, heureusement – sur le toit du vilain immeuble moderne qu’habite désormais Cio-Cio-San). Et, comme on avait pu le voir par exemple à Clermont-Ferrand, l’enfant à récupérer s’avère finalement n’être qu’un tas de chiffons : en voyant le landau, on se disait que ce bambin était né vraiment bien tard après le départ de Pinkerton, ou qu’il tardait à apprendre à marcher, mais l’explication est encore plus simple, puisqu’il s’agit uniquement d’un fantasme de l’épouse abandonnée. Pourtant, la première partie du spectacle semblait on ne peut plus traditionnelle, la transposition vers les années 1950 étant fort discrète. Dans un décor passablement kitsch, où il ne manque que le pont japonais cher aux mises en scène qui ravissait nos aïeux, Butterfly et son cortège font irruption dès l’ouverture, ce qui gâche un peu l’apparition prévue ensuite. Les costumes japonais sont presque trop colorés, les ombrelles en papier tournoient, et le premier acte paraît bien statique.
De fait, même pour Speranza Scappucci, les choses sérieuses ne commencent vraiment qu’après l’entracte. L’ouverture est un peu dénuée de nerf, les invités de la noce sont vraiment bruyants, et le duo avance sans vraiment toucher : certes, la situation n’est qu’une duperie dont l’héroïne fera les frais, mais la musique devrait davantage envoûter l’oreille. Au deuxième acte, le drame se noue et la chef semble s’y investir bien plus. Dommage que le superbe intermezzo ouvrant le dernier acte soit gâché par les allées et venues de Suzuki faisant le ménage, car l’orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie se montre alors tout à fait à la hauteur de l’enjeu. Et l’on reste frappé par le rythme exceptionnellement rapide auquel sont jouées les dernières mesures de l’œuvre, parfaitement glaçantes.
© Opéra Royal de Wallonie-Liège
Quant à la distribution vocale, Liège a fait le choix de le dédoubler pour le couple central. Sur les neuf représentations, quatre proposeront des artistes « ethniquement corrects », avec une Butterfly japonaise (Yasko Sato) et un Pinkerton étasunien (Dominick Chenes). Pour les premières, c’est un couple russe qui se trouve sous les feux de la rampe. Rôle court et personnage antipathique, Pinkerton est souvent difficile à distribuer : Alexey Dolgov peine à donner de l’épaisseur à l’officier de marine yankee, les voyelles sont vraiment très ouvertes et son chant semble cantonné aux seules nuances forte et mezzo forte, non sans malgré tout se laisser parfois couvrir par l’orchestre. Même son « Addio, fiorito asil » ne nous remue guère, alors que c’est bien le moment où l’interprète pourrait se rattraper. Heureusement, Svetlana Aksenova se situe dans une autre catégorie. Admirable dans le répertoire russe, elle surprend d’abord chez Puccini, surtout dans le rôle de la geisha de 15 ans dont, pas plus que tant d’autres, elle n’a vraiment l’allure. Les couleurs de la voix sonnent d’abord trop sombres pour le personnage mais, pour la soprano aussi, les choses paraissent plus naturelles après l’entracte, quand Butterfly cesse d’être une femme-enfant pour se montrer déterminée, sarcastique ou désespérée. Chanté dans une immobilité seulement perturbée par un lent mouvement ascendant des bras, « Un bel dì vedremo » produit l’impression désirée, et « Tu, tu, piccolo iddio » ne perd rien de sa force à être déclamé en présence de Pinkerton, le discours prenant alors un tour ambigu (même si l’on ne sait pas encore à ce moment que l’enfant n’existe pas). Mario Cassi est un Sharpless ému et émouvant, et l’on regrette que le baryton, très fréquemment invité à Liège, ne dispose pas cette fois d’un rôle plus étoffé. La Suzuki de Sabina Willeit ressemble plus à Olive, la femme de Popeye, qu’aux figures maternelles que l’on voit souvent, mais le timbre est bien celui que l’on attend. Saverio Fiore campe un savoureux Goro devenu un petit truand, tandis que Yamadori – Patrick Delcour convaincant – pourrait bien être un yakuza. La mise en scène n’aide pas Luca Dall’Amico à faire trembler le public, le bonze faisant une apparition bien plate au milieu de la noce.