C’était annoncé, Piotr Beczala figure désormais dans l’illustre liste des récipiendaires du titre de Kammersänger du Staatsoper de Vienne. A l’issue d’une représentation de Tosca où il reprenait Mario Cavaradossi (après ses débuts dans le rôle in loco à l’hiver dernier), Dominique Meyer a salué le parcours viennois du ténor polonais dont les deux derniers emplois disent tout l’art et le niveau auquel il s’est hissé : irradiant Maurizio dans Adriana Lecouvreur et désormais, nous osons l’écrire, une coudée au-dessus des autres Mario de sa génération. Les subtilités d’un Jonas Kaufmann par exemple ne lui sont pas étrangères et son chant se pare de nuances et de couleurs tantôt viriles tantôt graciles, s’aventure dans des messe di voce où affleure l’émotion. Piotr Beczala dispose tout autant d’un muscle solide, forgé aux quelques emplois wagnériens qu’il chante ou prépare : « la vita mi costasse » et surtout les « vittoria » du deuxième acte galvanisent. Mais au-delà de la technique, de l’adéquation vocale et d’une ligne lyrique irréprochable étendue sur un souffle généreux, le ténor convainc avant tout par la caractérisation et une justesse scénique de chaque instant : l’amoureux, le voltairien, l’homme désespéré enfin, qui croit revoir celle qui lui tombe dans les bras… ils sont tous dans sa voix et dans ses gestes sobres et véridiques. Deux autres Kammersängere devaient l’initier dans le cercle. Las, Nina Stemme souffrante aura laissé sa place à Karine Babajanyan, connue des spectateurs à Leipzig et Hanovre principalement. Son métier formé aux troupes germaniques lui assure une solide technique et déjà une fréquentation assidue du rôle. Le timbre, un rien voilé, ne manque pas d’intérêt même s’il a tendance à se durcir dans l’effort. Un effort que les moyens encore limités de la soprano rendent patent, surtout dans une salle où la fosse très peu enterrée transforme l’orchestre en un vrai obstacle à franchir. Si elle concède quelques aigus trop bas au deuxième acte, elle soigne un « vissi d’arte » poignant et fort bien coloré qui lui vaudra une longue ovation. Carlos Alvarez, deuxième KS de la soirée, joue à domicile est impose un Scarpia tout en volume, notamment dans le « Te Deum » où il ne fait qu’une bouchée de la fosse et du chœur. Il manque à cette puissance, le sadisme et la jouissance de la détresse d’autrui pour porter le personnage au-delà de l’ordure dans sa dimension tragique. Les forces de l’opéra de Vienne assure à la soirée son haut niveau : un pâtre qui chante juste et qu’on entend sans mal depuis la coulisse (membre de l’école de chant), un Angelotti (Sorin Coliban) noble dans sa détresse, un sacristain affable (Alexandru Moisiuc) ou un Spoleta (Wolfram Igor Derntl) bien caractérisé dont la veulerie est palpable dès la première note.
© Wiener Staatsoper
Tout ce beau monde évolue dans la production de Margarethe Wallmann au classicisme irréprochable et qui suit à la lettre toutes les didascalies du livret. Toutes ? Non, car comme bien souvent dans une telle proposition, la direction d’acteur est le parent pauvre, cantonnée à des gestes caricaturaux voire même à des contresens. Ainsi, la première chose que fait Tosca avant de rincer ses mains vengeresses c’est de se les porter au visage, tout justes chaudes du sang du chef de la Police. On l’imagine arriver maculée au Château Saint Ange, l’espoir au cœur de quitter Rome sans encombre… une telle inconséquence nous semble à peu près aussi grave que d’envoyer Mimi sur la lune.
Heureusement, Marco Armiliato comble la mesure par une direction tout en lyrisme et rubato, en contrastes et en nuances. A la hauteur de l’événement à la tête de Wiener aux cordes soyeuses, il ira même jusqu’à encourager un ténor humble et quelque peu réfractaire à bisser « e lucevan le stelle ». Grand bien lui en prit.