Après une longue tournée en France, ce spectacle arrive à Paris. Comme nos collègues ont déjà rendu compte des représentations de Nantes, Montpellier et Rouen, nous sommes gênés. Gênés par la pauvreté de l’œuvre elle-même et le traitement qui lui est appliqué pour en compenser les faiblesses. A défaut d’emballés, nous avions été charmés par les Chevaliers de la Table-ronde, que la même équipe a remonté récemment et nous allions voir cette Nitouche sans attendre beaucoup de la musique, si ce n’est un aimable divertissement. Or force est de constater que deux heures d’une telle piquette musicale est une épreuve. Enfin, deux heures … de spectacle certes, mais la musique doit à peine remplir un cd. Le livret lui-même n’est guère plus enthousiasmant, alignant les situations stéréotypées et un comique éculé (les bonne sœurs lubriques, les militaires tire-au-flanc), sans même parler du texte troupier inepte de certains airs (« Cric ! Crac ! Cuillère à pots ! Bidon su’ l’ sac ! Et l’ sac su’ l’ dos ! Redon, Loustalot, suivez l’ gross’ caiss’ qui n’est pas manchot ! Chaud ! »). On ne retrouve ni la qualité du théâtre d’un Feydeau, ni celle de la musique d’un Offenbach.
© Frédéric Stephan
Ce n’est pas la première fois que l’on reprend une œuvre qui a mal vieilli. Mais alors quel traitement lui appliquer ? Les artistes de cette production ont choisi les électrochocs. Tout, absolument tout patauge dans l’hystérie. La direction d’acteurs qui va jusqu’à investir le visage de plusieurs personnages de tics, rien ni personne ne tient en place plus d’une demi-seconde. La scénographie repose essentiellement sur une tournette qui alterne les décors colorés aux derniers degrés, comme les costumes. Les musiciens de l’orchestre ont beau être nombreux pour ce répertoire (une bonne vingtaine ! ), ils jouent si nerveusement que l’on croirait la fosse habitée par trois hommes-orchestres (à leur décharge, la fosse cachée sous la scène n’aide pas vraiment à construire un bon équilibre sonore avec les chanteurs). Les chanteurs-acteurs ne peuvent pas dire une ligne de texte sans hurler, caqueter, crier, surligner chaque mot, écraser chaque syllabe sous une intention outrée. Le peu de mélodie dont Hervé a gratifié sa musique est ainsi atomisée par leur jeu gaguesque, et il ne faut pas trop espérer humer le parfum de violette que dégagent les disques des années 50 de ce répertoire. Du coup, soit on est emporté par ce tourbillon furieux et spasmodique, soit on reste à la porte, un peu navré. Il n’est pas difficile de deviner de quel côté nous nous situons, mais beaucoup dans la salle riaient aux éclats à ce cirque clownesque.
Notre avis sur les artistes ne différant guère de celui de nos collègues, nous ne reviendrons pas individuellement sur leur performance. Remarquons tout de même que tenir ce niveau d’agitation extrême tous les soirs est un tour de force qui n’est peut-être pas sans danger pour leur structure psychique. En tout cas, si vous aimez les artistes qui mouillent leur chemise, vous ne serez pas déçus !