On ne sait pas bien ce qui nous hante le plus à l’écoute du War Requiem de Britten : l’évocation saisissante du jugement dernier, les poèmes de Wilfred Owen – poète anglais, tué à vingt-cinq ans seulement, dans les derniers jours de la Première Guerre Mondiale – ou encore cette musique glaçante, traversée par de rares touches de lumière.
Daniel Harding s’empare en tout cas de la partition avec l’autorité et la hauteur de vue qu’on en espérait. Le geste est extrêmement précis, anticipatif, continu, comme animé par une pulsation intérieure ; mais le chef possède surtout une vision d’ensemble de l’œuvre où le fortissimo est rare et bien amené, par des effets de gradation ou de contraste. Face à lui un Orchestre de Paris aux musiciens investis et réactifs – si nombreux soient-ils ! – dont il parvient à tirer toute une palette de matières et de couleurs : de la douceur du début à l’intensité du finale, c’est tout un cheminement esthétique et émotionnel que les musiciens réalisent.
Le chœur de l’Orchestre de Paris fait preuve des mêmes qualités, et rarement a-t-on entendu un tel spectre de nuances avec un chœur aussi nombreux. Daniel Harding en exploite toutes les possibilités, et si les grands effets dramatiques sont spectaculaires, les piano quasi chuchotés sont peut-être plus saisissants encore.
A ces ensembles viennent s’ajouter trois solistes, et en premier lieu le ténor Andrew Staples qui introduit les poèmes de Wilfred Owen dans le Requiem par le très beau « What passing bells ». La voix est claire, l’énonciation simple et au service du texte qu’elle porte ; on sent un chanteur habité par chaque mot qu’il prononce, sans jamais le surcharger de sens. Son « Move him into the sun » est ainsi bouleversant de sincérité, dénué de tout artifice.
Christian Gerhaher quant à lui emploie toutes les couleurs que lui offre sa voix : rendue parfois évanescente, ou au contraire pleine et sonore, le baryton plie son instrument à toutes les exigences du texte. On retiendra tout particulièrement sa longue intervention dans le « Libera me », profonde, engagée, ainsi que ses duos avec Andrew Staples, où les deux musiciens s’écoutent et s’accordent ensemble avec une belle attention.
Enfin, la soprano Emma Bell s’empare sans faillir des nombreux passages forte de la partition, avec une voix au timbre sombre mais à l’aigu acéré, le tout servi par une projection irréprochable et ô combien nécessaire dans cette œuvre.
On aurait difficilement pu espérer de meilleurs interprètes pour ce War Requiem, tant ils ont su rendre justice à la partition de Britten aussi bien qu’au livret, douloureux, haletant. On sort de cette soirée heureux d’avoir entendu une si belle musique, mais le cœur un peu lourd aussi. Let us sleep now.