Dans son compte rendu de l’enregistrement de 1956, Laurent Bury souligne « cette diction impeccable qui laisse rêveur de nos jours – comment faisaient donc ces artistes pour être à tout instant compréhensibles lorsqu’elles chantaient ? ». Eh bien ne rêvons plus, car les Frivolités parisiennes relèvent haut la main le défi de la diction, que l’on a le grand plaisir ce soir de qualifier d’impeccable. Mais ce n’est pas tout, et la troupe sait aussi s’identifier de manière confondante au style de l’époque, comme elle le fait à chaque nouvelle production. Ici, ça swingue, le rythme est effréné, jamais un temps mort, et alors que l’enregistrement ne nous offrait qu’une heure et demie, ce spectacle de deux heures et demie avec tous les couplets des airs, et des textes parlés parfaitement joués, passe comme un éclair, au milieu des rires (des spectateurs), des nombreux applaudissements, et de la bonne humeur générale.
Il faut dire que l’œuvre a été créée sous le Front populaire après d’importantes luttes sociales, période qui n’est pas sans rappeler les moments que nous vivons aujourd’hui (air « On n’est jamais content de ce qu’on a… »). Mais en même temps, elle surfe sur l’un des grands évènements de l’époque, le lancement et les premières traversées du Normandie, le plus grand paquebot du monde et parangon des Arts décoratifs. De son côté, la musique est bien dans l’air du temps, Frank Churchill n’est jamais loin, ni Oscar Straus et ses Trois valses, alors que My Fair Lady perce déjà…. Mais les chanteurs-comédiens-danseurs ne forcent pas sur la connivence et évitent les effets appuyés, leur préférant une certaine distanciation qui replace au second degré beaucoup d’effets comiques, réjouissant d’autant plus l’assistance. Même si peu de jeunes dans la salle en possèdent toutes les clés, comme par exemple que le Sphinx dont on parle souvent dans le spectacle était la grande et luxueuse maison close de Montparnasse ouverte en 1931. La mise en scène de Christophe Mirambeau, d’une redoutable efficacité, s’appuie sur des éléments scéniques simples – de grandes lettres qui composent des mots pour désigner soit un lieu, soit le sens d’une scène – et des costumes féminins de Casilda Desazars d’une classe digne des passagères de première classe du Normandie.
© Photo Casilda Desazars
Le trio féminin, héritier des trois cousines de La Périchole et des trois petites écolières du Mikado, campe trois personnages bien différenciés selon les règles du genre, qui coursent respectivement le télégraphiste, le professeur d’éducation physique du bord, et un garçon d’ascenseur passager clandestin. Mylène Bourbeau (Betty), Marion Tassou (Barbara) et Caroline Michel (Margaret) ont des voix lyriques délicieuses et une technique vocale bien assurée. Dans un genre tout différent, Sandrine Buendia (Catherine) est une éblouissante croqueuse de diamants dont les attitudes parodient Rita Hayworth (Gilda) tandis qu’elle tisse avec humour une solide toile d’araignée pour attraper les pigeons de passage. La voix est charnue et sensuelle, la comédienne irrésistible, un régal. Les autres personnages féminins sont tout aussi bien campés, que ce soit l’amusante et autoritaire mère du pasteur (Caroline Roëlands) ou le quatuor d’affriolantes jeunes filles.
Côté masculin, les jeunes prétendants Roland (Guillaume Paire), Georges (Pierre Babolat) et Petit Louis (Guillaume Beaujolais) maintiennent un excellent équilibre vocal avec leurs soupirantes, tout en apportant un contrepoint comique aux pères milliardaires de ces jeunes femmes, Jim (Jeff Broussoux), Ralph (Denis Mignien) et John (Richard Delestre), qui ont bien fait d’éviter l’accent américain. Tous savent parfaitement, tout comme leurs consœurs, chanter, danser et jouer la comédie, ce que font également très bien Halidou Nombre, très élégant barman, et Guillaume Durand, amusant et bondissant pasteur habitué à jouer des claquettes au Sphinx (un peu comme Sim dans une boîte de nuit avec sa Jolie petite libellule dans Elle Boit pas…!), sans oublier Patrick Laviosa, le chef-Commandant qui en plus du piano et de l’accordéon, assure la bonne marche du navire transatlantique… et celle d’un orchestre sensationnel. Bref, un spectacle vraiment épatant, d’où l’on sort avec le sourire aux lèvres et des refrains entraînants plein les oreilles. Avec en prime une maxime philosophique : rien n’a trop d’importance, et au total, Ça vaut mieux que d’attraper la scarlatine !