De Stephen Sondheim, Jean-Luc Choplin avait présenté au Châtelet plusieurs titres : Sunday in the Park with George, Unto the Woods… Autant de musicals ambitieux, par leur propos comme par les moyens matériels mis en œuvre. Désormais à la tête du Théâtre Marigny, il doit proposer une double programmation, celle de la grande salle, où les représentations de Peau d’Ane se poursuivent jusqu’à fin février, et celle du Studio, aux dimensions bien plus réduites. Dans cet espace presque intime a déjà été donné un hilarant diptyque Offenbach-Hervé créé en région parisienne à l’automne 2018, vu ensuite à Venise et finalement arrivé à Paris. Dans un tout autre genre, Marry Me a Little s’avère tout aussi réussi, même si, sur le papier, le projet avait de quoi intriguer.
Créé en 1980, ce spectacle d’une heure exclut tout dialogue parlé et met bout-à-bout une vingtaine d’airs tirés d’autres titres de Sondheim. Ses plus grands tubes ? Pas du tout. Un salon des refusés, plutôt, car il s’agit de chansons écartées des musicals auxquels elles étaient destinées (Follies et A Little Night Music, surtout) complétées par trois extraits de Saturday Night, qui ne fut créé qu’en 1997 bien qu’écrit en 1954, le titre venant d’un air tiré de Company. Des fonds de tiroir, en quelque sorte, mais quels tiroirs ! Et quels fonds ! A cet habit d’Arlequin pouvait-on superposer une intrigue, surtout sans dialogues ? Oui et non, mais ce n’est pas bien grave, ce patchwork de mélodies enjouées ou mélancoliques étant fort bien arrangé. L’idée était d’opposer la solitude de deux New-Yorkais habitant le même immeuble, qui rêvent de trouver l’amour mais ne se rencontrent pas. Une voix féminine, une voix masculine (même si une version pour deux voix d’hommes fut avalisée par le compositeur en 1999), et pour les soutenir, un piano – le ou la pianiste étant également censée avoir la même adresse. Le même immeuble, mais trois studios différents, et c’est là que la mise en scène de Mirabelle Ordinaire déconcerte au premier abord, puisque le décor ne distingue pas véritablement entre les trois lieux. Seules les allées et venues des personnages doivent faire deviner à qui n’aurait pas lu le programme que ces deux célibataires ne partagent pas le même espace en réalité. Comme ils se rencontrent en imagination pour plusieurs duos, il est finalement logique qu’on ne nous montre qu’un seul appartement, la neutralité des panneaux d’aggloméré des meubles traduisant le fait que nous sommes chez trois personnes et chez aucune.
C. Gauthier, D. Thantrey, K. McLaren © Julien Benhamou
Question format, le Studio Marigny se prête fort bien aux représentations de Marry Me a Little. L’acoustique est bonne, et si l’on distingue un discret micro au-dessus de l’oreille d’un des interprètes, c’est uniquement pour un effet de sonorisation sur l’une des chansons. Pour le reste, les voix sont tout à fait aptes à se faire entendre, d’autant qu’elles ont fait leurs preuves sur des scènes d’opéra. Kimy McLaren est déjà bien connue des lyricomanes français, qui ont pu l’applaudir dans Roméo et Juliette à Metz ou dans Cléopâtre de Massenet à Marseille. La soprano québécoise est parfaitement à l’aise en anglais, naturellement, et sa voix généreuse se plie d’autant plus facilement au musical qu’on a également pu la voir dans Carousel et dans Into the Woods au Châtelet. Dans cette même salle, Damian Thantrey a participé à A Little Night Music et à Sunday in the Park with George, mais le baryton britannique a aussi chanté Monteverdi à Nancy ou à Paris : il possède une voix tout aussi ductile et expressive, et se montre particulièrement émouvant dans l’ultime song, au terme de laquelle le personnage se suicide, désespéré par une solitude persistante. Charlotte Gauthier interprète aussi un rôle, d’abord pianiste amateur qui s’efforce maladroitement de venir à bout d’un morceau peut-être trop difficile pour elle, puis voisine gênante, et surtout accompagnatrice de choix pour ce duo qui n’en est pas un.