Depuis quelques saisons, les mélomanes auvergnats savourent les prestations d’une soprano japonaise que la région parisienne n’a guère pu applaudir qu’en Renarde rusée. A Clermont-Ferrand, Noriko Urata fut pourtant une fort belle Violetta, semble-t-il, et une mémorable Tosca. Il semblait donc inévitable qu’elle finisse par incarner sur cette même scène Cio-Cio-San, un rôle en or pour elle, selon toute vraisemblance. C’est désormais chose faite, et cette artiste a confirmé sa totale maîtrise du lexique et de la syntaxe pucciniens. Il est évidemment dommage qu’elle n’ait pas été au mieux de sa forme en ce soir de première, et qu’une annonce ait signalé qu’elle avait tenu à assurer la représentation quand même. Peut-être ses graves auraient-ils été un peu plus sonore, peut-être les aigus du premier acte auraient-ils été plus libres. Malgré tout, cette incarnation n’en est pas moins apte à marquer les esprits, même par le léger sfumato qui nimbe les contours de certaines notes, par le naturel de l’émission. Et scéniquement, bien sûr, on est conquis par une interprète qui, outre son adéquation « ethnique », possède également les caractéristiques physiques de la piccina mogliettina qui charme Pinkerton con quel fare di bambola. Et si cette Butterfly-là n’a pas quinze ans, elle donne l’impression de les avoir par le côté rieur qu’elle prête au personnage pendant la première partie de l’action.
Si l’on s’étonne de la voir apparaître en nuisette, une fois retirés son kimono et son obi pomposa, c’est qu’en fait – et cela ne se comprend qu’à la fin, quand apparaît Kate Pinkerton – l’action est transposée dans les années 1930. Cela ne change finalement pas grand-chose, et permet seulement de justifier rétrospectivement la tenue de Sharpless, qui ressemble plus à un paysan endimanché qu’à un consul des Etats-Unis à Nagasaki. A quelques excentricités près – Pinkerton habillé en mafieux au 3e acte – les costumes charment l’œil, notamment avec la robe de mariée dorée de Butterfly et le joli camaïeu de gris et rouge de son cortège nuptial. Le décor se contente de quelques éléments stylisés pour évoquer le Japon, et les claustra d’abord bien rangés se désorganisent avant de s’écrouler, sans doute pour refléter l’effondrement du rêve de l’héroïne. Dans l’ensemble, la mise en scène de Pierre Thirion-Vallet est assez respectueuse, avec seulement une incongruité : l’enfant est ici une poupée de chiffons, par laquelle Sharpless a d’abord été dupé, et dont on ne découvre l’imposture que dans les ultimes instants. « Ah ah ah, la bombe éclate, elle aimait un automate » ? Le suicide de Butterfly en paraîtrait presque dérisoire. Mais peut-être cette solution s’est-elle imposée dans la mesure où les représentations clermontoises ne sont que les premières d’une longue tournée proposée par la compagnie Opéra Nomade : il aurait été bien difficile de trouver un enfant apte à suivre les différentes étapes, ou de changer d’enfant à chaque ville…
© Ludovic Combe
La tournée justifie aussi un orchestre réduit à une trentaine d’instrumentistes, ce qui est malgré tout assez peu pour Butterfly. D’où un Puccini « dégraissé », clarifié, ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose, mais qui peut aussi exposer cruellement certains manques d’ensemble ou de rondeur dans les cordes, malgré le rythme très mesuré auquel Amaury du Closel prend l’ouverture. A d’autres moments de la soirée, on aimerait parfois plus de langueur : la rapidité de certains tempos aide facilite peut-être la tâche aux chanteurs, mais on constate aussi un gros décalage au premier acte, dans le discours de Pinkerton. Sur le plateau, tous ne se situent pas exactement au même niveau que le rôle-titre. Vu dans la résurrection de Claudine de Rodolphe Berger, Antonel Boldan fait preuve de vaillance mais semble un peu éprouvé par la tessiture tendue de Pinkerton ; la voix change de couleur sur les notes les plus aiguës, et l’on sent le ténor poussé à la limite de ses capacités. Si Jean-Marc Salzmann a l’âge et l’autorité de Sharpless, Magali Paliès déroute par la manière dont elle alterne les (nombreux) passages tout à fait réussis et ceux où, comme oubliant le côté maternel et protecteur de Suzuki, elle se met à chanter d’une voix presque trop légère. Joseph Kauzman nous épargne les travers de ces ténors de caractère auxquels Goro est le plus souvent confié, et rarement le nakodo se sera exprimé d’une voix aussi suave. Un mot sur les chœurs : toujours pour des raisons de logistique, sans doute, il se réduit ici à huit voix féminines, qui sont à la fois le cortège des amies de Butterfly et, complétées par deux hommes, toute sa parentèle annoncée par l’entremetteur.