Une fois de plus, et même si d’autres bientôt lui emboîteront le pas, la Compagnie de l’Oiseleur remplit le rôle qu’elle s’est fort heureusement attribué, sinon en ressuscitant, du moins en rendant moins méconnue la Cendrillon de Nicolas Isouard. Certes, Richard Bonynge en dirigea une intégrale en 1999, certes l’œuvre a été récemment donnée à Malte, pays natal du compositeur, mais on ne peut pas dire qu’elle se trouve vraiment au centre du répertoire. Pourtant, elle aurait bien des raisons d’être davantage fréquentée.
Après avoir donné quelques œuvres lyriques sur son île, Isouard voit sa première œuvre française créée à Paris en février 1800. Il a d’abord pour librettiste Pixérécourt, célèbre auteur de mélodrames, ou François-Benoît Hoffman, auteur de la Médée de Cherubini, entre autres, puis à partir de 1808 Charles-Guillaume Etienne qui deviendra son principal collaborateur. C’est d’ailleurs sur le livret d’Etienne, bien plus que sur le conte de Perrault, que s’appuiera sept ans plus tard Jacopo Ferretti pour offrir à Rossini le texte d’un opera-buffa. On y découvre en effet les personnages que La Cenerentola semble ajouter au récit : Dandini, Alidor(o) et un père portant déjà un nom italien, le baron de Montefiascone, titre que portera également Don Magnifico. Mais là où les choses se compliquent, c’est dans l’importance relative des sept personnages, sans rapport avec celle qu’ils ont chez Rossini. Dandini, ténor chez Isouard, n’a que quelques répliques en solo et ne participe guère qu’aux ensembles. Le père des trois demoiselles est tout aussi sacrifié. Alidor a, lui, est bien plus présent puisqu’il apparaît dès le quatuor initial, avant de chanter un duo avec le Prince, puis un air après lequel il ne revient plus que dans les finales des deuxième et troisième actes. Le Prince français bénéficie à peu près du même traitement que Ramiro : deux duos et un air. Chez les dames, tout est bouleversé, puisque l’héroïne passe presque au second plan, quant à la matière musicale même : puisqu’elle incarne la bonté, mais aussi la simplicité, son chant est sobre et sans effets. L’équivalent du « Una volta, c’era un re » rossinien est ici la célèbre comptine « Compère Guilleri », et les airs confiés au rôle-titre relèvent de la tendre romance qui pouvait émouvoir nos ancêtres mais sans rien de comparable avec un feu d’artifice comme « Nacqui all’affanno ». La virtuosité s’est tout entière réfugiée dans les rôles de Clorinde et Thisbé, particulièrement développés : un air pour chacune des deux sœurs, deux duos, un trio, un quatuor et tous les ensembles.
On ne s’étonnera donc pas que la Compagnie de l’Oiseleur ait confié ces deux personnages à des artistes chevronnées, à la voix puissante et agile à la fois. Avec Catherine Manandaza et Marie Kalinine, c’est déjà Norma et Adalgisa que l’on entendrait presque dans ces duos où les deux pestes font assaut de vocalises et de roulades. La très forte présence scénique de ce deux artistes, même pour une version de concert, fait ressortir avec d’autant plus d’évidence la pudique modestie dont Mathilde Rossignol pare Cendrillon. Cette jeune mezzo, qui vient justement d’interpréter Cenerentola au Théâtre du Ranelagh, n’est pas ici confrontée aux difficultés dont Rossini a semé sa partition et offre un beau portrait de celle que Perrault appelait Cucendron, et qui devient Lucette ou Cendrille chez Massenet.
En s’attribuant le rôle important d’Alidor, l’Oiseleur s’est peut-être fait un cadeau empoisonné, car la tessiture tendue du personnage, qui n’a ici rien d’une basse, mais qui est un baryton appelé à chanter très souvent au-dessus de la portée, l’oblige à passer régulièrement en falsetto. Benjamin Mayenobe et Léonard Pauly sont réduits par la partition à jouer les utilités. Isouard accorde en revanche au Prince quelques fort belles pages, et l’on découvre en la personne de Joseph Kauzman un ténor au timbre extrêmement séduisant (remarqué dans L’Enlèvement au sérail actuellement en tournée en France) et à la voix parfaitement capable de rendre justice à cette musique du tout début du XIXe siècle : on imagine que Boieldieu lui conviendrait fort bien, par exemple.
Pour cette Cendrillon, un véritable chœur (amateur) avait été convoqué : l’ensemble Fiat Cantus, dont on a récemment salué la prestation dans le disque Ode à la France. La participation appréciée de ces chanteurs permet de mieux rendre justice à l’œuvre – même si le quatuor du sommeil est ici confiée au chœur, peut-être pour en étoffer la prestation. Fiat Cantus est dirigé depuis le piano par son chef, Thomas Tacquet-Fabre ; non content de traduire par la délicatesse de son jeu les beautés de la musique d’Isouard, il s’offre aussi le luxe de dire avec un humour certain les textes de liaison écrits pour remplacer les dialogues parlés.
Puisse cette interprétation tirer maintenant de son sommeil (partiel) cette œuvre parfaitement représentative d’un genre difficile à ranimer, l’opéra-comique français d’avant 1850.