Dans la série des Cendrillon, de Massenet, de Rossini, d’Isouard, à Nantes, Angers, Paris, elle est l’outsider ; elle est aussi celle dont le budget doit être le plus modeste – preuve qu’il n’est pas nécessaire d’être « plein aux as » pour réussir un opéra. Intelligemment resserrée en 1h20 sans qu’aucun des protagonistes ne soit sacrifié, tissée de dialogues en français pour ne pas perdre le fil de l’intrigue, La Cenerentola sur la scène du Théâtre Ranelagh s’avère plus proche de l’esprit de Rossini que les élucubrations moroses de Guillaume Gallienne actuellement au Palais Garnier. C’est qu’Annie Paradis et Isabelle du Boucher, les auteures de l’adaptation, ne se sont pas obstinées à inventer un improbable concept ou trouver une idée originale qui puisse servir de socle à leur approche. Non. Elles ont puisé leur inspiration à la source – le Conte de Perrault –, afin de ne pas dévoyer ce qui aujourd’hui encore fait la magie de l’œuvre. Ne pas tirer un trait sur le merveilleux pour que l’opéra puisse continuer d’être cette formidable machine à rêve, pour petits et grands.
Réduire une partition de plus de sa moitié exige cependant de prendre une nécessaire distance par rapport au livret. La mer a été appelée en renfort scénique et sémantique. Le rideau se lève sur une plage. Une méduse traverse la scène. Les courtisans sont des marins et Ramiro, lui-même, a le costume d’un moussaillon. Il est intéressant de regarder les éléments se mettre en place, comme un puzzle vivant dont chaque pièce viendrait naturellement épouser les autres. L’enthousiasme du Chœur de Grenelle est contagieux. Mathilde Rossignol en Angelina a la blondeur lisse de Catherine Deneuve dans Peau d’Ane. Son prince, Louis Reumond, possède la fragilité des âmes pures. Laurent Herbaut endosse le maillot de Dandini avec un naturel réjouissant. Jean Vendassi – Don Magnifico – se régale à jouer le barbon teigneux et méchant tandis qu’Alidoro – Baptiste Jore – tire les ficelles. Mention spéciale aux deux sœurs – Ania Wozniak (Tisbe) et Mylène Bourbeau (Clorinda) – dont on guette avec un délice coupable chacun des mauvais tours.
Chanter Rossini, avec l’agilité diabolique requise comporte trop de pièges pour que ces jeunes voix puissent tous les contourner. Mais là pour une fois n’est pas l’essentiel. L’équilibre des forces et l’esprit d’équipe prévalent ; la lecture se veut moins littérale que picturale. Dépeindre sans temps mort pour donner à aimer quand on ne connaît pas et, lorsque l’on connaît, s’extasier une nouvelle fois sur l’inépuisable fantaisie rossinienne.
Musicalement, le spectacle repose sur les dix doigts de Magali Albertini, fée du piano que la mise en scène maquille en Petite Sirène. Sans que jamais la mécanique ne s’enraye dans des ensembles menés tambour battant, la pianiste conduit le bal jusqu’à l’heureux dénouement. Captivés, les enfants, nombreux en raison de l’heure matinale de la représentation, applaudissent aussi fort que les adultes. Mesdames et messieurs les directeurs de théâtre à la conquête d’un jeune public, ne cherchez plus : c’est ainsi que l’on initie. Dernier rendez-vous, dimanche prochain, 16 décembre, à 11h. A quand la reprise ?