Le tout puissant Noël tresse dans les rues des guirlandes scintillantes, habille les places de sapins et de cabanes de bois d’où s’échappent des odeurs de vin chaud, enferme désormais les crèches dans les églises et dicte aux maisons d’opéra des programmes de circonstance où petits et grands peuvent mettre à l’épreuve leur âme d’enfant. Paris affiche la Cendrillon de Rossini, Nantes préfère celle de Massenet. Quelle bonne idée ! La semi-clandestinité réservée à cet opéra créé avec succès en 1899 fait partie de ces injustices dont l’art lyrique est coutumier. Le voir – ou le revoir – suffit à convaincre de la valeur d’un ouvrage sans temps mort où rires et larmes s’enlacent tendrement en une subtile alchimie. Un jour, son prince viendra mais en attendant, pourquoi tant d’indifférence ?
N’aurait-on pas assez vanté les mérites d’une musique savante au point d’user du pastiche mais aussi d’annoncer Debussy par son respect de la prosodie et son maillage harmonique ? A la tête de l’Orchestre National des Pays de La Loire, Claude Schnitzler s’essaye à le rappeler après avoir déjà dirigée la partition quelques années auparavant à Lille. De son propre aveu, son approche est aujourd’hui moins nerveuse, judicieux parti-pris tant cette musique de vair refuse d’être brusquée. L’équilibre est la clé d’une direction à laquelle ne manque qu’un soupçon de magie. Equilibre dans l’usage des contrastes, dans l’emploi de tempi mesurés et dans les rapports de volume entre voix et instruments.
N’aurait-on pas assez souligné l’efficacité d’un livret fidèle au conte de Perrault et respectueux dans sa fidélité des impératifs théâtraux ? Pas de longueur mais des scènes d’ensemble, des duos à fendre des pierres, des airs et même un ballet intelligemment agencés. Les références freudiennes relevées par Ezio Toffolutti passent inaperçues ; sa mise en scène obéit d’abord à la lettre. Avec des portes et ses toiles peintes dans le goût néo-classique, le décor veut accuser la légèreté de la pièce mais la distance au texte se mesure au ridicule de robes dont le panier privé d’étoffe dévoile les jupons. La chorégraphie d’Ambra Senatore, directrice du Centre chorégraphique national de Nantes, tourne le dos aux figures de danse traditionnelles. Sa fantaisie revendiquée correspond à l’esprit de l’œuvre (et à la volonté de Massenet qui, lors de la création, avait proscrit le tutu).
© Jean-Marie Jagu
N’aurait-on pas assez affirmé combien, avant Richard Strauss, Massenet exalte la voix féminine ? Du contralto coléreux de Madame de La Haltiere aux coloratures arachnéennes de la Fée, Cendrillon s’apparente à un dictionnaire amoureux du chant lyrique. Il faut pour en tourner chaque page une prononciation irréprochable. Là est le moindre défaut de Rinat Shaham, titulaire du rôle-titre à Nantes après Bruxelles en 2011. Pourquoi s’être encore conformé à une tradition imputable sans doute au seul enregistrement studio de l’opéra et ne pas avoir choisi une voix de soprano pour chanter Cendrillon ? La mezzo-soprano israélienne possède, sinon, cette modestie lumineuse propre au personnage et l’étendue nécessaire pour que les notes piquées du carillon au 3e acte semblent empruntées à l’air des clochettes. Ce n’est pas Lakmé mais, avec ses aigus en forme d’écho, l’ombre légère de Dinorah qu’évoque la Fée. Dorée des pieds à la tête, Marianne Lambert se joue des innombrables coloratures d’un soprano virevoltant auquel ne manque aucun des atours virtuoses. Insoupçonnable travesti, Julie Robard-Gendre confirme combien il est regrettable de confier le rôle du Prince à un ténor. Son mezzo-soprano sombre parvient à tracer son propre sillon dans ce jardin de voix féminines. Rosalind Plowright appartient désormais au cercle fermé de ces chanteuses auxquelles il suffit d’apparaître pour être. En dépit de sons chaotiques, cette Madame de La Haltière acariâtre crève la scène. Seul protagoniste masculin, François Le Roux fait valoir derrière un Pandolfe pitoyable l’interprète émérite du répertoire mélodique français, attentif au poids de chaque mot.
N’aurait-on pas été assez explicite ? Des seconds rôles truculents et des chœurs en rang serré achèvent de rendre plus que recommandable cette nouvelle production d’un opéra magique trop peu représenté, à Nantes jusqu’au 4 décembre, puis à Angers du 14 au 18 décembre.