Le principal mérite de la production new-yorkaise de Carmen signée Richard Eyre est d’avoir réuni Elīna Garanča et Roberto Alagna lors de sa création en 2009. La présence magnétique de ces derniers avait occulté une mise en scène très prosaïque, platement reprise cette saison par Paula Williams. La transposition dans l’Espagne de la guerre civile n’apporte rien sinon des casques franquistes et des costumes insipides. En guise de décors, les ruines des remparts de Séville encombrent la scène et ne laissent qu’un proscenium étroit sur lequel les protagonistes s’entassent rapidement. La taverne de Lilias Pastia est surplombée par des poutres rouges sur lesquelles tombe une lumière bleue du plus mauvais goût.
Plus dérangeante est l’obsession de Richard Eyre de meubler les préludes, pourtant très courts, avec de la danse et autres déplacements de décors. Ces scènes de danse sont au mieux plaisantes, au pire néfastes, comme le flamenco chez Lilas Pastia où les danseurs frappent du pied au point de couvrir « Les tringles des sistres tintaient ».
Clémentine Margaine (Carmen), Acte II © Marty Sohl/ Met Opera
Mettre en avant la violence et la crudité de l’intrigue de Carmen, c’est une chose. En faire étalage avec vulgarité jusqu’au grotesque, c’en est une autre. Le jeu est souvent outrancier et sans subtilité ; Carmen passe ainsi la moitié de la soirée les jupons relevés et à califourchon sur Don José. La gaucherie des scènes sensuelles finit par mettre le public aussi mal à l’aise que les chanteurs eux-mêmes.
On aurait souhaité à Omer Meir Wellber un meilleur début au Metropolitan Opera. Le futur chef principal de l’orchestre de la BBC laisse paraître un manque de préparation assez évident de l’œuvre. Sa direction fait penser à ces cahiers d’écoliers aux premières lignes soigneusement calligraphiées qui deviennent brouillons la première page tournée. De préludes magnifiques de brillance et de vivacité, on passe à des ensembles décousus et un orchestre trop souvent en décalage avec les solistes.
La Carmen mutine de Clémentine Margaine lui a ouvert les portes des plus grandes maisons. On pouvait alors s’attendre à une interprétation maîtrisée de bout en bout de la part de celle qui chantera le rôle plus d’une vingtaine de fois cette saison. Pourtant, la Française semble ne jamais trouver d’équilibre au cours de la représentation. La ligne est hachée et oscille entre aigus éclatants et graves puissants sans jamais trouver de médium stable. A un timbre raide et sans séduction vient s’ajouter une prononciation hasardeuse, ce qui est bien dommage pour une Carmen francophone. Le Don José de Yonghoon Lee ne connaît que deux expressions : la stupeur et la colère. A ce titre, son interprétation relève plus d’un pastiche de Franco Corelli que d’une véritable appropriation du rôle. Le français est plus qu’approximatif et la ligne tendue et monochrome. Après un « Parle-moi de ma mère » inutilement forte, le ténor sud-coréen se rattrape avec un « La fleur que tu m’avais jetée » plus nuancé. Son absence d’alchimie avec Carmen ne tire pas cette première représentation vers le haut.
Les autres rôles sont plus heureusement distribués. Le charmant vibrato de la Micaëla de Guanqun Yu apporte un peu de fraîcheur au plateau vocal. Bien que superbement exécuté, son « Je dis que rien ne m’épouvante » pourrait encore gagner en puissance et en intériorité. Kyle Ketelsen incarne un Escamillo dandy, dont le timbre clair est compensé par une excellente diction et une interprétation convaincante. Les rôles secondaires permettent de rattraper cette représentation. Malgré une bonne projection, le Zuniga de Richard Bernstein ne correspond pas exactement aux exigences du rôle. La Frasquita de Sydney Mancasola et la Mercédès de Sarah Mesko sont des Bohémiennes piquantes qui brillent dans la scène des cartes. Adrian Timpau (Moralès), Javier Arrey (Le Dancaïre) et Scott Scully (Le Remendado) viennent solidement compléter la distribution. Le chœur du Met livre une magnifique prestation dès « La cloche a sonné » mais se perd au gré de la direction encore mal assurée d’Omer Meir Wellber.
Espérons que la venue début 2019 de Louis Langrée, Roberto Alagna et Aleksandra Kurzak relèvera le niveau de cette Carmen bien morne.