A la Sémiramis rossinienne depuis longtemps connue s’était récemment ajoutée une consœur lyrique, celle de Catel (1802), sans oublier toutes celles qu’Anna Bonitatibus avait dénichées pour un récital consacré à la reine de Babylone. Pourtant, il restait encore à en découvrir au moins une qui, pour être française, ne doit cependant rien à la pièce de Voltaire (1748) qui inspira ensuite les librettistes. Alors que la tournée d’Issé se termine samedi prochain à Versailles, le festival d’Ambronay a permis de ressusciter un opéra situé à l’autre extrémité de la carrière d’André Cardinal, dit Destouches, une Sémiramis exactement tricentenaire. Sur un livret du même Pierre-Charles Roy qui lui avait fourni le texte de Callirhoé, Destouches donnait en 1718 son ultime tragédie, sans toutefois renouer avec le succès qu’avaient pu connaître ses précédentes œuvres lyriques. A ce propos, on invoque en général l’évolution du goût : sous la régence, le public était désormais friand de spectacles plus légers. Mais deux ans auparavant, l’extrêmement tragique Hypermnestre de Gervais – tout récemment recréée à Budapest – avait été fort applaudie, et devait être régulièrement reprise tout au long du siècle. Peut-être la musique de Destouches se laisse-t-elle moins facilement apprivoiser ; toujours est-il qu’au bout d’un mois sa Sémiramis fut retirée de l’affiche pour n’y plus revenir.
Réduit à quatre personnages principaux, le livret se révèle particulièrement dense, voire opaque, malgré une intrigue resserrée. Sans avoir préalablement lu l’Argument, il est en effet difficile de comprendre les motivations des uns et des autres. Bien que gratifiés de monologues développés, qui permettent de suivre les méandres de leur psychologie, les personnages s’expriment un peu trop à mots couverts, comme si la situation – en grande partie imaginée par le librettiste – était limpide pour tous. Sur ce texte, Destouches compose un récitatif sinueux, aux contours imprévisibles, rendu plus ardu lors de ce concert par un continuo particulièrement touffu. Dirigé ce soir par les gestes amples de Sylvain Sartre, son cofondateur et codirecteur avec la gambiste Margaux Blanchard, l’ensemble Les Ombres est encore assez peu familier du genre opéra ; on avait beaucoup apprécié, il y a deux ans, le programme présenté à Ambronay autour d’airs de Purcell et de Rameau, mais conduire le discours d’une tragédie lyrique nécessite d’autres compétences encore. Même un peu écourtée (le prologue n’est pas donné, et quelques coupes ont été faites, surtout au troisième acte), Sémiramis exigerait un souffle théâtral que la partition peine à trouver lors de cette version de concert, où les jeux d’éclairage réglés par Nathalie Perrier ne suffisent pas entièrement à créer les contrastes souhaitables. Par ailleurs, l’Abbatiale d’Ambronay n’est sans doute pas le cadre idéal pour ce genre d’œuvre : l’acoustique « généreuse » du lieu a tendance à estomper les contours de la musique, à nimber les voix d’un flou auquel elles résistent plus ou moins bien. L’oratorio s’en accommode assez bien, l’opéra un peu moins. Le chœur du Concert Spirituel, « prêté » par Hervé Niquet, intervient à chaque divertissement, mais une solennité qui ne se distingue pas tout à fait assez du reste des différents actes. Issus de ses rangs, Benoît Descamps est un oracle au timbre étonnamment clair pour celui qui se fait la voix de Jupiter, Clément Debieuvre a la volubilité voulue pour les deux petits rôles confiés à une haute-contre, mais Julia Beaumier reste un peu froide dans ses incarnations successives.
E. De Negri, M. Vidal, J. Van Wanroij © Bertrand Pichène
Après avoir été un ministre, puis un mémorable Corésus dans Callirhoé sous la baguette d’Hervé Niquet en 2005 et 2006, João Fernandes revient en Zoroastre, auquel il offre ses graves superbes et sa science de la déclamation française. Bien que déclencheur du drame, le personnage n’apparaît qu’à la troisième scène du deuxième acte, mais occupe ensuite entièrement l’acte central consacré à l’invocation des puissances infernales. En Arsane, fils ignoré de la reine de Babylone, Mathias Vidal se montre une fois de plus l’interprète idéal des rôles de haute-contre de tout ce répertoire, avec cette ferveur et ce dramatisme qu’on lui connaît. Emmanuelle De Negri trouve en Amestris un personnage de princesse éplorée auquel elle confère des accents déchirants. En Sémiramis, Judith Van Wanroij se joue des difficultés d’un rôle a priori destiné à une voix plus grave, celle de la Lyonnaise Marie Antier, bas-dessus à l’Académie royale de musique de 1711 à 1741, et future créatrice de Phèdre dans Hippolyte et Aricie, entre autres. On aimerait voir sur scène ce que la soprano néerlandaise tirerait de cette impitoyable héroïne ; en attendant une très hypothétique recréation théâtrale, et un possible enregistrement discographique, on pourra entendre cette œuvre sur France-Musique le 14 octobre.