Le programme du concert d’hier soir à la Maison de la Radio pouvait en dérouter plus d’un : aux piliers de la tradition viennoise incarnés par Berg et Mahler répondaient les pages plus contemporaines de Dusapin et de Vivier. Pourtant, Cristian Macelaru et l’Orchestre National de France ont su donner une certaine cohérence à cette soirée.
Trente-cinq ans après sa mort, Claude Vivier fait encore figure de d’objet musical non-identifié. Et pour cause, le mélange de mysticisme cosmique, de philosophie asiatique et d’érotisme qui habite son œuvre ne se retrouve chez aucun compositeur de sa génération. Dans Orion, c’est l’influence des musiques de Bali qui se fait entendre, avec un orchestre aux couleurs chatoyantes et aux polyrythmies complexes qui ne sont pas sans rappeler le gamelan.
De la partition, Cristian Macelaru sait tirer des couleurs admirables, rapprochant un peu plus Vivier des spectraux français. Sa baguette souple s’avère aussi utile dans le travail détaillé des lignes instrumentales, d’importance capitale dans la musique d’un compositeur dont le travail est avant tout mélodique.
Passé l’émerveillement d’une musique aux couleurs chatoyantes, l’interprétation des Sieben Frühe Lieder de Berg nous fait tomber de haut. D’ailleurs, ce n’est pas tellement la direction d’orchestre, raffinée et attentive, qui est en cause. C’est seulement que la mezzo-soprano Charlotte Hellekant peine à tenir l’attention du public, tant une diction yaourteuse, un timbre caverneux, sans projection et une présence peu convaincante empiètent sur les qualités musicales de la chanteuse. Transposer le cycle une tierce (!) plus bas n’était probablement pas non plus la solution, puisque la voix ne passe même plus au dessus d’un orchestre qui n’abuse pourtant pas du potentiomètre. La grisaille de cette musique qui devait être un festival coloriste viennois nous fait trouver le temps long, et on oublie assez rapidement ce qui devait être la caution lyrique de la soirée.
Avec Apex, Pascal Dusapin signe son troisième « solo d’orchestre », terme qui unit sept pièces orchestrales formant un vaste cycle. On retrouve avec bonheur les couleurs tranchées qui caractérisaient l’ouverture du concert. La matière mise en mouvement au long de la pièce se présente sous différents points de vue, offrant à l’auditeur une palette sonore et expressive particulièrement dense et riche.
L’Adagio de la 10ème Symphonie de Mahler répond habilement à cette page orchestrale aux textures sombre. Le lent déploiement opéré dans cet ultime opus d’un compositeur meurtri par le destin n’est pas sans rappeler celui que nous venons d’entendre. C’est peut-être ici que la baguette souple et précise de Cristian Macelaru atteint ses limites. Malgré un magnifique tapis de cordes, la tension qui doit se construire au fur et à mesure de la pièce ne semble pas tout à fait prendre. Le plaisir d’une texture moirée se fait au détriment de l’architecture formelle de l’œuvre, et la sauce finit par ne pas prendre. Le point culminant de l’œuvre, avec un terrible accord de neuf sons, ne sera donc pas aussi bouleversant qu’on l’imagine être.
Malgré de magnifiques pages coloristes chez Vivier et Dusapin, le pendant viennois de cette soirée n’a pas su convaincre pleinement l’auditeur, laissant une impression de demi-teintes là où l’orchestre devait se faire plus fauve que jamais.